Jeune homme tenant une aiguière, reprise avec variantes de ses jambes
Ce dessin appartient à un dossier génétique, constitué de quelques feuilles en relation avec un cycle de douze peintures, commandées à Enea Salmeggia, représentant des épisodes de la vie de saint Alexandre, saint patron de la ville de Bergame. Ce saint fut dans l’armée romaine, porte-étendard de la légion thébaine de l’armée impériale. Suite à son refus réitéré de sacrifier aux idoles, il fut martyrisé, après avoir été élu évêque de Bergame et prêché la foi chrétienne. Ce cycle fut commandé par Lattanzio Bonghi, chanoine de la cathédrale de Bergame avant 1623, date à laquelle il donna ces peintures aux chanoines de saint Alexandre pour être placées dans la cathédrale. Sur ces douze peintures, dix ont survécu. Cette commande fut passée à Salmeggia sur fond de rivalités entre les chapitres des deux cathédrales de la ville. Celle de San Alessandro, dite aussi basilica alessandrina, construite sur le tombeau du saint patron de la ville, fut détruite sur ordre des Vénitiens afin d’étendre les fortifications, tandis que celle de San Vincenzo accueillait le chapitre et les reliques provenant de la cathédrale détruite, entraînant une cohabitation tendue voire conflictuelle entre les deux congrégations. En disposant ce cycle de peintures, narrant la vie de saint Alexandre, dans la cathédrale devenue unique, les chanoines éponymes entendaient montrer à leurs rivaux et homologues de San Vicenzo qu’ils étaient les héritiers institutionnels d’une tradition continue, remontant à la période contemporaine du saint et que ses reliques étaient authentiques. Par la même occasion, la décision prise par les Vénitiens de détruire la cathédrale était critiquée implicitement tout comme était proclamée la filiation de l’église de Bergame à celle de Milan. Le conflit entre les deux chapitres atteint son pinacle en 1614. C’est sûrement à cette date ou peu après, vers 1615 fort vraisemblablement, que le cycle fut commandé par Lattanzio Bonghi à Salmeggia. Le dessin de Grenoble prépare une figure de jeune homme tenant une aiguière, peinte dans le quatrième tableau de la série représentant la décollation du saint. Cette figure est dans la peinture sise à main gauche, derrière les figures de deux soldats, dont l’un tient une hallebarde. Cette arme a la particularité d’être placée juste devant le jeune garçon. Son visage est ainsi partiellement masqué alors que son buste est recouvert par le bras du soldat. Dans le dessin, Salmeggia ne tient pas compte de ces interférences plastiques. La figure est comme extraite de son contexte narratif. Elle est vue en pied et en entier avec à proximité une reprise de ses jambes comportant quelques variantes, proposition d’attitude que l’on retrouve sur la peinture. En fait, si l’on regarde attentivement la disposition des figures et des éléments dans l’économie de l’histoire dépeinte, on s’aperçoit que l’objet tenu par ce jeune homme, une aiguière, tient une place centrale. Cet objet attire le regard en raison de son emplacement même, juste au-dessus du corps acéphale du saint martyrisé. Du sang s’écoulant du cou surgissent des lys. L’association visuelle du vase et du sang fonctionne à l’image d’une association verbale ou lexicale. Le sang de saint Alexandre est sacré puisqu’il est source de miracle ; il est une image typologique du sang du Christ tandis que le vase placé à l’aplomb fait écho aux ustensiles utilisés durant certaines cérémonies liturgiques. On comprend alors pourquoi la figure du jeune homme est en partie occultée, réduite à une fonction de monstration comme s’il s’agissait d’un enfant de chœur participant à un office religieux. Deux autres dessins préparatoires à cette peinture sont connus. Il s’agit également d’études de figures : l’une prépare le bourreau en train de rengainer l’épée dans son fourreau[1], l’autre la figure du soldat vue de face peinte à l’extrême gauche[2]. Deux autres études montrant des dispositions proches pourraient être intégrées à ce dossier préparatoire[3].
[1] Milan, Ambrosiana, F 255 inf. no 2340. Voir pour une reproduction le catalogue en ligne des dessins de l’Ambrosiana établi par Robert Randolf Coleman.
[2] Bergame, Accademia Carrara, inv. 471.
[3] Étude d’une figure tenant une lance vue de dos, Bergame, Accademia Carrara, inv. 1130. Étude d’une figure appuyée sur une lance, Londres, British Museum, inv. 1946.0713.1379.