(Sans titre)

Raffaello VANNI (attribué à)
Crédit photographique :
VILLE DE GRENOBLE / MUSÉE DE GRENOBLE-J.L. LACROIX

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La présence des armes de la famille Piccolomini à main gauche, tenues par deux putti, a facilité l’identification du sujet représenté, à quelques nuances près, car deux papes Piccolomini ont été élus et couronnés : Pie II, le plus célèbre, et Pie III, son neveu. Si le pontificat du premier fut relativement long et mémorable (1458-1464), le second fut en revanche fort bref puisque élu le 22 septembre 1503, il mourut le 18 octobre 1503. L’origine siennoise des deux papes permettait en tout cas d’envisager une hypothèse d’ancrage géographique du dessin à Sienne, même si nous avons un temps hésité, car une telle scène aurait pu être peinte à Rome par un artiste romain ou établi à Rome – nous avions ainsi noté quelques points de convergence avec la manière d’un Giovanni Baglione. La découverte, dans un ouvrage consacré au Palazzo Pubblico de Sienne, d’une reproduction d’une peinture murale à l’huile reprenant l’ordonnance générale étudiée sur le dessin avec quelques variantes, a mis un terme à ces errements géographiques, sans pour autant résoudre de manière définitive la question de son attribution, tant du dessin que de la peinture.
Cette peinture occupe la voussure d’une voûte en berceau, dans la deuxième salle dite Sala di Biccherna au rez-de-chaussée du Palazzo Pubblico, et représente le Couronnement de Pie II, lequel eut lieu le 3 septembre 1458. Au sommet de la voûte, se trouve une autre peinture murale à l’huile montrant L’archevêque de Mayence faisant connaître aux représentants de Sienne les privilèges fiscaux consentis par l’empereur Frédéric à la ville ; elle est attribuée à Astolfo Petrazzi. Sur l’autre voussure, est peint un sujet en pendant du premier représentant Pie II Piccolomini donnant Radicofani à Sienne, vraisemblablement de la même main que la composition qui lui fait face. Celle-ci est organisée selon un schéma ternaire. Au centre, le couronnement proprement dit du nouveau pape, et tout autour en arc de cercle, en partie occultés par le drapé du dais, les hauts dignitaires de l’Église assistant à la cérémonie. Deux éléments para-iconiques, pourrait-on dire, sont figurés au premier plan. Ils donnent des renseignements sur le sujet représenté et sur le commanditaire de l’œuvre. Le premier est figuré à main gauche et montre deux putti tenant un cartel fixé à une plaque sur lequel est précisée en latin l’identité du pape intronisé. À main droite est représentée une figure d’homme vue en buste tenant un écu, sur lequel sont peintes les armes de la famille Piccolomini d’Aragona. Il est montré à l’intersection de l’espace de l’historia et de l’espace réel vers lequel son buste est dirigé. Cette figure fait en fait office de figure de liaison entre le sujet peint et le spectateur. Son rôle est de montrer les armes du commanditaire dont le nom apparaît sur l’écu : Francesco Girolamo Piccolomini, de la famille des Piccolomini d’Aragona. Les traits individués de cette figure font dire qu’il s’agit vraisemblablement de son portrait. Francesco Piccolomini fut questeur de la Biccherna : c’était un magistrat chargé des finances de la ville de l’année 1631 à 1633. C’est sûrement durant son mandat qu’il commanda ces deux peintures. Le dessin de Grenoble présente quelques variantes de disposition mineures par rapport à la peinture. Elles concernent principalement les figures para-iconiques qui se réduisent sur la feuille à la présence de deux putti tenant les armes Piccolomini. L’adjonction de la figure de bord de droite, exigée très certainement par le commanditaire, a du coup contraint le peintre à modifier la disposition du groupe de figures, montrant un ecclésiastique tenant la mitre du pape élu, accompagné d’une autre figure portant un plat. Sur la peinture, ce dernier personnage est supprimé.
Le nom du peintre n’est en revanche pas inscrit et s’est du coup perdu. Trois noms ont été avancés. E. Romagnoli, peu avant 1835, pensait que les deux peintures pouvaient être attribuées à Astolfo Petrazzi (1580-1653). Celui-ci ayant peint le tableau central, il était d’une certaine manière logique d’étendre cette attribution aux deux autres tableaux latéraux. Cette proposition n’est plus retenue par les connaisseurs actuels de la peinture siennoise du Seicento. En 1983, Gabriele Borghini a ainsi proposé de les attribuer à Bernardino Mei (1612-1676), certainement le plus grand peintre siennois de cette époque, synthétisant à la fois les manières de ses devanciers et celle moderne, issue de courants « naturalistes ». Cet avis a été rejeté par Marco Ciampolini qui y voit une œuvre typique de Raffaello Vanni, un Vanni sensible toutefois dans son faire à la manière de Petrazzi, ce qui semble aller de soi étant donné que ces deux peintures étaient appelées à être placées de part et d’autre d’une œuvre de sa main. Cette divergence de jugement tient lieu d’une certaine manière de manifeste en matière de lecture stylistique. On sait que Bernardino Mei fut durant les années 1640 sensible à la manière de Raffaello Vanni, l’un des rares Siennois à avoir œuvré en dehors de sa ville natale et étudié sous la direction de peintres exogènes à Sienne, après avoir été formé par son père Francesco, l’un des plus grands peintres siennois de la seconde moitié du XVIe siècle – il serait ensuite passé, selon son contemporain Ugurgieri Azzolini, dans l’atelier de Guido Reni à Rome, puis dans celui d’Antonio Carracci toujours à Rome. C’est cette composante vannesque que l’on peut lire sur cette peinture. Mais pour G. Borghini, cette composante est à lire comme une influence, tandis que pour M. Ciampolini, elle définit le caractère même de l’œuvre si bien qu’il est possible de dire, à ses yeux, qu’elle revient à l’initiateur de cette manière. On ajoutera à cette analyse purement stylistique une note historique, laquelle va dans le sens de l’avis émis par M. Ciampolini. En 1631, Raffaello Vanni est à Sienne. Il aurait donc pu peindre les deux peintures de la voussure de la Sala di Biccherna. À cette date, Mei est bien trop jeune. En fait, on connaît extrêmement peu de peintures de sa main datant des années 1630. Et celles qu’il réalise par la suite sont conçues dans une veine stylistique totalement différente.
L’analyse stylistique du dessin pourrait-elle aider à l’attribution de la peinture ? Si depuis les recherches de Philip Pouncey, on connaît maintenant assez bien la manière graphique d’Astolfo Petrazzi, celles de Bernardino Mei et de Raffaello Vanni sont en revanche moins connues. Force est de reconnaître que si les noms de Mei et de Vanni n’avaient pas été avancés, celui de Petrazzi aurait pu convenir au regard de l’existence de dessins présentant un faire comparable, notamment un dessin récemment acquis par le British Museum[1] étudiant une Présentation au Temple : les figures sont entièrement construites au lavis de sanguine ; et tant d’un point de vue technique que stylistique, les ressemblances sont troublantes avec le dessin de Grenoble. C’est peut-être en considérant le sujet étudié au verso à la plume et à l’encre brune – de la même main que celui étudié au recto, cela semble incontestable –, lequel ne présente guère d’affinités avec la manière de Petrazzi, que le nom de Vanni peut être avancé. On retrouve sur quelques feuilles, publiées sous son nom, des stylèmes comparables. C’est à l’heure actuelle, en tout cas, le nom qui convient le mieux tant pour la peinture que pour le dessin.


[1] Inv. 2001,0519.24. Voir la notice d’Hugo Chapman sur le site Internet du British Museum et la reproduction qui l’accompagne.

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