Les Noces de Cana

Giovanni GUERRA
XVIe siècle
Plume et encre brune, lavis d'encre brune, sur un tracé au graphite, trait d'encadrement à la plume et à l'encre brune, sur papier crème cintré par le haut
25,6 x 15 cm
Crédit photographique :
VILLE DE GRENOBLE / MUSÉE DE GRENOBLE-J.L. LACROIX
Acquisition :
Legs de Léonce Mesnard en 1890, entré au musée en 1902 (lot 3551)

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Catherine Monbeig Goguel avait noté, dans un article pionnier consacré à Guerra dessinateur, que sa manière graphique appartenait à une sorte de mouvance stylistique à laquelle il était possible de rattacher des artistes de régions éparses de l’Italie. Par ce terme de mouvance, nous n’entendons pas que ces artistes formaient un regroupement d’intérêt commun ou tout simplement qu’ils se connaissaient, mais que leur manière respective présente de notables points communs dans l’élaboration des formes et des signes mimétiques. C’est ainsi qu’il est possible de détecter des façons de faire similaires entre les dessins du Piémontais Guglielmo Caccia dit il Moncalvo, des frères Della Rovere de Milan, originaires des pays du Nord, et du Modénais Giovanni Guerra, établi à Rome à partir de 1562 (?), tout en distinguant sans difficulté aucune leur caractère propre. Cette remarque était tout simplement un étonnement alors qu’a priori, ces artistes ne se sont pas fréquentés et qu’ils ont été amenés à rentrer en contact ou à s’associer avec des dessinateurs dont les manières sont différentes. Prenons le cas de Giovanni Guerra, puisque la notice de ce dessin lui est consacrée, celui-ci forme avec Cesare Nebbia (c. 1536 – c. 1614) une sorte de tandem chargé de la direction des grands chantiers du pape Sixte Quint. Tous deux dessinent et élaborent les multiples projets picturaux et ornementaux destinés à décorer le palais du Latran, celui du Vatican (la bibliothèque Sixtine), la chapelle Sixtine à Sainte-Marie- Majeure, la Scala Santa et la Villa Montalto. Puis ces dessins sont remis à une kyrielle de peintres chargés de les mettre en peinture. Giovanni Baglione dit ainsi que « Giovanni inventava i soggetti delle storie e Cesare ne faceva i disegni. […] Quest’uomo era gran pratico ne’ lavori grandi e con molto facilità scompartiva a ciascheduno la sua fatica » (« Giovanni inventait les sujets des histoires et Cesare en faisait les dessins… Cet homme s’y connaissait dans les grands travaux et avec beaucoup de facilité répartissait à chacun son labeur »). De nombreux dessins de Nebbia sont conservés et tous présentent des signes stylistico-techniques notablement différents de ceux qui caractérisent les dessins de Guerra.
Ce rôle d’intendant des arts, de concepteur et d’organisateur, a fait que Guerra a très peu peint. Il a en revanche dessiné, énormément dessiné. Le dessin était pour lui un mode d’élaboration des idées dont la fin pouvait se suffire à elle-même. C’est ainsi que l’on possède des séries consacrées notamment à des figures iconologiques et à des histoires, tirées de l’histoire romaine (Histoire de Rome de Tite-Live) ou juive (histoire d’Esther), sans que l’on sache si ces dessins étaient destinés à être gravés. Il n’est donc pas étonnant que le dessin de Grenoble n’ait pas, à notre connaissance, de contrepartie peinte [1], même si le format cintré et les dimensions relativement importantes par rapport à celles des autres dessins pourraient laisser présumer qu’il s’agit d’un dessin préparatoire à une peinture.
Il serait intéressant de comparer la disposition du sujet des Noces de Cana, telle qu’elle est mise en place dans ce dessin, avec celles que son associé fut amené à concevoir et à peindre. Nebbia réalisa au cours de sa carrière deux peintures sur ce sujet. La plus importante fut réalisée pour le dôme d’Orvieto (la commande lui fut signifiée le 15 février 1567) ; l’autre se trouve à Castel Rubello, dans l’église de San Giovanni. Un ensemble de sept dessins est conservé. Ces deux peintures et le dessin de Guerra montrent un dispositif iconographique à chaque fois singulier, conçu à partir, comme il se doit, des mêmes éléments entrant dans l’expression du sujet. Un point commun réunit néanmoins les trois dispositions : l’étagement en hauteur de la composition, permettant de compresser l’espace établi de manière ascendante, avec au premier plan, les échansons remplissant les jarres, et dans l’axe supérieur, le performateur du miracle, Jésus. Le dessin de Guerra accentue encore plus ce mouvement ascendant en raison de la saturation de l’espace, entièrement rempli de figures, alors que les tableaux de Nebbia sont, dans la partie supérieure, occupés par des zones vierges de toute figure. Nebbia et Guerra font ainsi à partir d’éléments identiques trois dispositifs en tout point dissemblables et originaux.


[1] On aurait pu mettre en rapport le dessin de Grenoble avec une fresque peinte dans la nef de la basilique Sainte-Marie-Majeure à Rome dont on sait que le programme fut supervisé par Nebbia et Guerra à l’extrême fin du pontificat de Sixte Quint. Mais la disposition des figures est tellement différente que cette entreprise n’aurait eu guère de sens.

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