Etang au crépuscule
Originaire de Lyon, Adolphe Appian se destine d’abord à embrasser la carrière de dessinateur pour l’industrie florissante de la soierie à laquelle l’école de dessin municipale prépare la plupart de ses élèves. C’est au sein de cette institution que le jeune homme reçoit l’enseignement du peintre Jean-Michel Grobon, paysagiste. Musicien, Appian étudie aussi le cornet à piston et hésite longtemps entre une carrière musicale et artistique. La rencontre en 1852 à Crémieu avec Camille Corot et Charles Daubigny décidera finalement de sa vocation de peintre en plein air. «Je puis affirmer, que, grâce à eux, j’ai appris à mieux voir la nature. Le contact avec des artistes de leur talent, et si aimables et complaisants, ne peut faire que beaucoup de bien à un commençant.[1]» Participant régulièrement aux Salons de Paris et de Lyon, Adolphe Appian partage son temps entre la forêt de Fontainebleau, le Lyonnais, l’Ain et le Dauphiné. L’influence de Daubigny se fait sentir dans le choix de ses motifs –ruisseaux, étangs et mares –, où se reflètent les rochers et les arbres mais aussi dans son goût pour les variations de lumière qui affectent le paysage selon les heures du jour et les saisons. Plus que dans ses peintures, c’est sans doute dans ses fusains que réside l’originalité de son talent. Car dès 1853, Adolphe Appian expose ses études dessinées sur nature dans cette technique, « où le blanc et le noir, sous son doigt inspiré, équivalent à une palette entière, n’ayant rien à envier […] à ses toiles les plus lumineuses » comme le souligne le critique A. Bleton dans Lyon-Salon en 1892[2]. Ce très grand fusain, Étang au Crépuscule, est à mettre en relation avec le tableau L’Étang des Trois-Pierres (Dauphiné) que l’artiste présente au Salon de1891. On reconnaît en effet l’étang à ses trois pierres caractéristiques, même s’il n’a pas été possible de localiser précisément le site. Un grand nombre de différences existent pourtant entre le fusain et la toile, en particulier dans la silhouette des arbres qui étendent leurs ramures au-dessus du miroir liquide de la mare. Le pêcheur dans sa barque est penché alors qu’il est debout dans le tableau. Pour Appian, les grands dessins au fusain comme celui-ci n’ont pas le statut d’études préparatoires mais d’œuvres à part entière avec lesquelles il affronte le jury des Salons. Il n’en est pas de même pour le dessin du musée des beaux-arts de Lyon (inv. 1989-24), moins léché, qui prépare certainement la composition finale. Tout y est identique, du cadrage à la forme des branchages, de la ligne des nuages jusqu’au vol des oiseaux qui glissent à la surface de l’étang. Le fusain de Grenoble est donc plutôt une variante dessinée du même site. Il a en tout cas la fraîcheur d’une exécution sur nature. Appian use ici avec une incroyable maîtrise du velouté du grain de fusain, qu’il appuie pour obtenir des noirs profonds, estompe, gomme, essuie et mouille ensuite pour rendre la fluidité du ciel, la densité des rochers, le frémissement des branchages et le clapotis des eaux. Cette cuisine savante, l’artiste songe à en transmettre les secrets dans un manuscrit resté inédit, intitulé Pour dessiner des paysages au fusain et conservé dans les archives familiales. « Tout le secret pour colorer un dessin consiste à observer et à indiquer les valeurs de chaque chose. […] Il faut bien se souvenir en faisant un dessin, que dans la nature tous les objets ont un tissu diffèrent »[3], écrit-il, signe qu’il exécute les siens face au motif. L’atmosphère qui imprègne ses paysages, tout en nuances de noirs charbonneux et de gris perlés, à peine griffés de quelques traits de lumière assourdie, est à la fois envoutante et mystérieuse. Cette faculté à traduire la mélancolie de la nature sera saluée par nombre de critiques. « Appian, lui, trouvait le moyen, par je ne sais quelle magie de la touche, d’exprimer avec du charbon, les plus subtiles impressions du paysage. Sous son estompe, les lointains s’emplissaient de mille choses qui grouillent dans les brumes, les formes s’effritaient dans un air léger, ce n’était plus en aucune façon du dessin, mais de la véritable peinture exprimant parfois des effets inconnus au pinceau[4]».
[1] Lettre de l’artiste, archives familiales Gruyer, cit. dans cat. exp. Adolphe Appian, Bourg-en-Bresse, musée de Brou, 1997, p.11.
[2] A. Bleton, « Salon de 1892 », dans Lyon-Salon, 1892-1897, cit. dans cat. exp. 1997, p. 53.
[3] Manuscrit conservé dans les archives familiales Gruyer, daté de Lyon le 21 mai 1880. Retranscrit dans cat. exp. ibid., p.138.
[4] P. Anglade, « Adolphe Appian », La Revue jeune, Lyon, 1898, p. 5.
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