(Sans titre)

Francesco CURIA (attribué à)
Crédit photographique :
VILLE DE GRENOBLE / MUSÉE DE GRENOBLE-J.L. LACROIX

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L’attribution de ce dessin double face reste encore problématique. La principale difficulté réside dans la différence de facture entre les formes graphiques du recto et celles du verso. Ont-elles été réalisées par une seule main ou a contrario par deux mains différentes ? Ainsi les traits qui structurent les figures du mariage de sainte Catherine d’Alexandrie sont d’une grande souplesse alors que ceux qui délimitent les contours des cinq petits personnages du verso sont plutôt rigides. C’est en fait comme s’il y avait deux façons de concevoir et d’étudier les formes qui se manifestaient de chaque côté de cette feuille et, par ricochet, deux tempéraments artistiques. D’un côté, une main qui laisse glisser la plume et reprend son tracé, forme d’hésitation dans la recherche, de l’autre côté, une main qui structure ses figures à partir de modèles géométriques, façon de dessiner qui permet de penser la figure à l’économie pour mettre en place, avant tout, une attitude.
L’antonymie souplesse/rigidité pourrait en fait recouvrir deux façons de faire liées à deux stades de recherche différents. Sur le recto, il s’agirait avant tout de chercher dans la reprise des traits – d’où le caractère brouillon qui en résulte – une ordonnance satisfaisante, alors que sur le verso, il s’agirait simplement de juxtaposer des attitudes pour constituer vraisemblablement un répertoire de poses. Quel dessinateur serait susceptible d’avoir réalisé les deux faces de cette feuille ? Nous avions pensé en premier temps qu’elle pouvait revenir à un dessinateur florentin, Donato Mascagni (1570/1574 – 1637). Les formes cubisantes du verso trouvant un écho dans celles que l’on peut voir sur la plupart de ses dessins [1]. Mais à vrai dire aucun de ceux-ci ne peut être comparé aux signes graphiques du recto. Une assignation à un dessinateur siennois serait en fait préférable. Mais une localisation siennoise qui serait une sorte de camp de base, à partir duquel le dessinateur potentiel aurait gravité pour aller à la rencontre d’autres manières. Le nom de Pietro Sorri pourrait convenir. On sait que ce dessinateur s’est formé auprès du Florentin Domenico Cresti, dit il Passignano, dont on connaît l’itinérance en Italie (apprentissage auprès de Federico Zuccari, voyage à sa suite à Venise puis à Rome). Tout comme lui, il s’est rendu à Florence, à Venise et à Rome. Or les signes graphiques du recto ne sont pas sans rappeler sa manière combinant ligne ondulante à la Palma le Jeune et statisme à la Federico Zuccaro. Quant à ceux qui caractérisent les figures du verso, il faut pour appuyer notre proposition d’attribution faire appel à une feuille qui associe sur un seul de ses côtés les deux modes de construction des figures qui apparaissent dissociés sur le dessin grenoblois.
Cette feuille de comparaison est conservée à la Pinacoteca de Sienne[2] et étudie au verso, sous la forme de suites variées et encadrées, le sujet de l’Assomption de la Vierge. Sorri a dessiné par deux fois la figure mariale au dessus de trois propositions de disposition selon les deux types de mise en place des idées : celle du bas se caractérise par un trait multiple et ondulant, celle du haut par un trait sec et géométrisant. C’est sûrement cette dernière figure qui a été dessinée en ultime lieu : la sobriété et la simplicité du tracé permettent de visualiser facilement l’attitude générale de la figure montant au ciel. Sorri semble ainsi utiliser ce mode graphique pour enregistrer et valider toute une suite d’études. C’est sûrement le cas pour le dessin de Grenoble qui était à l’origine bien plus grand, comme le montre au verso la figure en haut à gauche coupée au niveau de la tête. On pourrait dès lors imaginer (de manière tout hypothétique) que ces cinq petites figures de martyrs marquent le terme d’un ensemble d’études faites de traits virevoltants qui auraient pu figurer sur une ou des parties de la feuille ; tout comme au recto, le sujet du mariage mystique de sainte Catherine a pu faire l’objet d’un type comparable de validation géométrisante (on aurait pu dire à la Cambiaso si cette qualification ne tendait à simplifier l’aspect heuristique de ce procédé), au même emplacement.


[1] Voir notamment au Louvre, inv. 1320.
[2] Inv. 89

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