(Sans titre)

L’attribution de ce dessin double face reste
encore problématique. La principale difficulté
réside dans la différence de facture entre les
formes graphiques du recto et celles du verso.
Ont-elles été réalisées par une seule main ou a
contrario par deux mains différentes ? Ainsi les
traits qui structurent les figures du mariage de
sainte Catherine d’Alexandrie sont d’une
grande souplesse alors que ceux qui délimitent
les contours des cinq petits personnages du
verso sont plutôt rigides. C’est en fait comme
s’il y avait deux façons de concevoir et d’étudier
les formes qui se manifestaient de chaque côté
de cette feuille et, par ricochet, deux tempéraments
artistiques. D’un côté, une main qui
laisse glisser la plume et reprend son tracé,
forme d’hésitation dans la recherche, de l’autre
côté, une main qui structure ses figures à partir
de modèles géométriques, façon de dessiner qui
permet de penser la figure à l’économie pour
mettre en place, avant tout, une attitude.
L’antonymie souplesse/rigidité pourrait en fait
recouvrir deux façons de faire liées à deux
stades de recherche différents. Sur le recto, il
s’agirait avant tout de chercher dans la reprise
des traits – d’où le caractère brouillon qui en
résulte – une ordonnance satisfaisante, alors
que sur le verso, il s’agirait simplement de
juxtaposer des attitudes pour constituer
vraisemblablement un répertoire de poses.
Quel dessinateur serait susceptible d’avoir
réalisé les deux faces de cette feuille ? Nous
avions pensé en premier temps qu’elle pouvait
revenir à un dessinateur florentin, Donato
Mascagni (1570/1574 – 1637). Les formes
cubisantes du verso trouvant un écho dans
celles que l’on peut voir sur la plupart de ses
dessins [1]. Mais à vrai dire aucun de ceux-ci ne
peut être comparé aux signes graphiques du
recto. Une assignation à un dessinateur
siennois serait en fait préférable. Mais une
localisation siennoise qui serait une sorte de
camp de base, à partir duquel le dessinateur
potentiel aurait gravité pour aller à la rencontre
d’autres manières. Le nom de Pietro Sorri
pourrait convenir. On sait que ce dessinateur
s’est formé auprès du Florentin Domenico
Cresti, dit il Passignano, dont on connaît l’itinérance
en Italie (apprentissage auprès de
Federico Zuccari, voyage à sa suite à Venise puis
à Rome). Tout comme lui, il s’est rendu à
Florence, à Venise et à Rome. Or les signes
graphiques du recto ne sont pas sans rappeler
sa manière combinant ligne ondulante à la
Palma le Jeune et statisme à la Federico
Zuccaro. Quant à ceux qui caractérisent les
figures du verso, il faut pour appuyer notre
proposition d’attribution faire appel à une
feuille qui associe sur un seul de ses côtés les
deux modes de construction des figures qui apparaissent dissociés sur le dessin grenoblois.
Cette feuille de comparaison est conservée à la
Pinacoteca de Sienne[2] et étudie au verso, sous la
forme de suites variées et encadrées, le sujet de
l’Assomption de la Vierge. Sorri a
dessiné par deux fois la figure mariale au dessus
de trois propositions de disposition
selon les deux types de mise en place des idées :
celle du bas se caractérise par un trait multiple
et ondulant, celle du haut par un trait sec et
géométrisant. C’est sûrement cette dernière
figure qui a été dessinée en ultime lieu : la
sobriété et la simplicité du tracé permettent de
visualiser facilement l’attitude générale de la
figure montant au ciel. Sorri semble ainsi
utiliser ce mode graphique pour enregistrer et
valider toute une suite d’études. C’est sûrement
le cas pour le dessin de Grenoble qui était à
l’origine bien plus grand, comme le montre au
verso la figure en haut à gauche coupée au
niveau de la tête. On pourrait dès lors imaginer
(de manière tout hypothétique) que ces cinq
petites figures de martyrs marquent le terme
d’un ensemble d’études faites de traits virevoltants
qui auraient pu figurer sur une ou des
parties de la feuille ; tout comme au recto, le
sujet du mariage mystique de sainte Catherine
a pu faire l’objet d’un type comparable de
validation géométrisante (on aurait pu dire à
la Cambiaso si cette qualification ne tendait à
simplifier l’aspect heuristique de ce procédé),
au même emplacement.
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