Cour de l'Hôtel de Cluny

C’est en architecte que François-Victor Sabatier intègre l’École nationale des beaux-arts en 1844 où il suit l’enseignement d’Hippolyte Lebas et de Gabriel-Alexandre Decamps. À l’issue de sa formation, il devient sous-inspecteur de l’architecture au ministère des Affaires étrangères et participe en 1854, en tant que premier dessinateur de l’agence Lefuel, au chantier devant permettre la réunion des Tuileries au Louvre. Après le rattachement du comté de Nice à la France en 1860, il est nommé architecte diocésain de Nice, puis de Fréjus, chargé à ce titre de la construction et de la restauration des édifices cultuels. Il construit aussi différents bâtiments civils comme l’actuel hôtel de Ville de Nice. Cette activité professionnelle ne l’empêche nullement de poursuivre une carrière artistique et d’être présent au Salon de 1853 à 1883. Sa production est presque exclusivement graphique et montre surtout des paysages urbains de Paris, Venise ou encore de la région de Nice où il réside jusqu’à sa mort. Ses dessins, où les ombres brutales mettent en valeur les éléments d’architecture, sont rarement peuplés de figures et dégagent une ambiance romantique, dans la veine des Voyages pittoresques de l’ancienne France du baron Taylor. Le département des Arts graphique du Louvre et le musée des beaux-arts d’Agen, ville dont il est originaire, conservent quelques feuilles de l’artiste données à sa mort par sa veuve. Elle choisit également d’honorer le musée de Grenoble par le don en 1893 d’une aquarelle représentant Villefranche, près de Nice, et de quatre dessins à la plume et à l’encre brune, dont ces deux très belles feuilles montrant L’Hôtel de Cluny et Aigues-Mortes[1]. La première, précisément datée de 1857, est contemporaine des vues de Paris conservées au musée Carnavalet, comme La Fontaine des Innocents (D.2318) et La Seine au pont Royal; le Pavillon de Flore, (D.2320), datées de 1855 ou Le Palais de Justice et le pont au Change, de 1856 (D.2317). Cette série de monuments et sites parisiens, à laquelle appartient le dessin de Grenoble, a sans doute été réalisée lorsque l’artiste travaillait sur le chantier du Louvre. L’Hôtel de Cluny, feuille aux dimensions imposantes, faisait peut-être partie des « dessins à la plume et au lavis » que Sabatier expose au salon de 1877 puis de 1879 sous le titre de « Paris ancien et moderne ». L’artiste choisit ici de montrer la cour de l’hôtel particulier du XVe siècle, avec son escalier d’honneur abrité dans une tour à cinq pans en forte saillie. Les fenêtres à meneaux Renaissance, surmontées de gâbles en toiture, animent la façade du logis en retour. En 1857, l’Hôtel de Cluny abrite déjà les collections d’Alexandre du Sommerard et a pris le nom de musée de Cluny depuis 1843. Par un jeu savant d’ombres et de lumière qui plonge l’architecture dans une atmosphère mystérieuse, Sabatier parvient à faire oublier cette nouvelle destination de l’édifice. Il rajoute quelques gardes en costume, armés de hallebardes, pour aider l’imagination du spectateur à plonger dans le passé. Le dessin d’Aigues-Mortes est une vue rapprochée de la Porte de la Reine, ouvrant les remparts de la ville vers l’est et la Camargue. En quelques traits nerveux, l’artiste arrive à rendre le parement de petites assises de pierre des deux tours du XIIIe siècle, flanquant la porte d’ogive au centre. Comme pour l’Hôtel de Cluny, l’édifice ne porte aucune marque du temps présent, de vie quotidienne qui daterait précisément la vue. Intemporelles et passéistes, les visions de Sabatier n’ont pas non plus la précision du dessin d’architecture, objectif et descriptif. Elles portent en elles une dimension fantastique, une magie qui nourrit l’imaginaire et transfigure la pierre des froides architectures pour lui donner une vie propre.
[1] François-Victor Sabatier, Villefranche, aquarelle, MG 982 (disparue). Les deux autres dessins représentent respectivement le Pont de Villeneuve-sur-Lot, MG 983 et une Vue de Grenoble, MG 984. Toutes deux sont à la plume et à l’encre brune, rehaussées de lavis d’encre brune. Ces deux dessins ont figuré au Salon de 1879, sous le numéro 4553.
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