Pinas, petite frégate hollandaise

Hendrik Cornelisz. VROOM (suite de)
après 1650
Plume et encre brune, trace d'un trait d'encadrement au graphite sur papier vergé beige, contrecollé en plain sur papier vergé beige
19,9 x 21,4 cm
Crédit photographique :
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix
Acquisition :
Legs de Léonce Mesnard en 1890, entré au musée en 1902 (lot 3548, n°1698)

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Réalisé exclusivement au moyen d’une fine plume, trempée dans une encre brune, précise et descriptive pour les détails du navire mais plus suggestive pour les flots et la fumée, ce dessin s’inscrit très clairement dans le sillage des oeuvres de Hendrik Cornelisz. Vroom. Ce grand peintre est parfois qualifié de « père de la peinture hollandaise de marines » et il est certain qu’il joue un rôle déterminant dans le développement de ce genre pictural à la fin du XVIe siècle et dans les premières décennies du Siècle d’or.
La biographie de Hendrik Vroom est sans doute l’une des plus rocambolesques que Karel van Mander conte dans son Livre des peintres[1]. Poussé à prendre le large par la sévérité d’un beau-père sculpteur, le très jeune Vroom part pour un long périple à travers l’Europe du Sud qui dure au moins cinq années et le mène en Espagne, en Italie et en France[2]. Mais la carrière de Vroom ne s’arrête pas en 1604, date de publication de sa Vie par Van Mander. Il meurt en 1640, à presque quatre-vingts ans, à l’issue d’une carrière couronnée de succès et de commandes prestigieuses[3] et après avoir formé non seulement ses deux fils mais aussi Jan Porcellis[4].
Dans ce dessin, on note une manière de rendre la houle, en longs traits parallèles pour les vagues et en lignes bouclées pour les moutonnements de l’écume, qui s’approche beaucoup du traitement graphique d’une autre feuille de Hendrik Vroom conservée au Rijksprentenkabinet à Amsterdam[5]. De même, la précision avec laquelle les cordages et les détails du navire sont exécutés, qui s’oppose aux silhouettes rapidement esquissées des personnages, est une caractéristique que l’on trouve dans d’autres oeuvres de Hendrik Vroom, notamment celles conservées dans la collection Frits Lugt, à Paris[6] et au National Maritime Museum de Greenwich[7].
Toutefois, le sujet du dessin rend une attribution à Hendrik Vroom peu probable. Le navire représenté est en effet très particulier. Les trois personnages que l’on aperçoit à son bord donnent l’échelle de ce modeste trois-mâts, tout de même armé de dix-huit canons (l’un vient de faire feu, sans doute pour un salut). Il porte pavillon néerlandais, ainsi que le laissent penser ses trois bandes horizontales – certes sans précision des couleurs rouge, blanc, bleu – alors déjà symbole des Pays-Bas. La coque basse et allongée du navire comme la cabine à l’arrière suggèrent que l’on a affaire à un « pinas », type de petite frégate hollandaise, qui ne fait pas son apparition avant la seconde moitié du xviie siècle[8].
En outre, les costumes portés par les deux personnages à l’arrière du navire placent eux aussi notre feuille après 1650 : le chapeau plat et le jabot de la figure masculine, de même que le capuchon et la courte cape de la dame, sont des accessoires vestimentaires datant de la seconde moitié du siècle.
Dans la collection de Grenoble, ce dessin est attribué à Cornelis Hendriksz. Vroom[9], fils aîné du grand peintre de marines. Cornelis est d’abord apprenti auprès de son père, puis assistant dans l’atelier familial où son frère Frederik fait aussi ses premières armes. Contrairement à Hendrik, Cornelis abandonne rapidement la peinture de sujets maritimes pour se consacrer au paysage, genre qui fleurit alors dans la ville de Haarlem et dont il sera l’un des principaux représentants. Cornelis Vroom est aussi un excellent dessinateur, mais on connaît relativement peu de feuilles de sa main et encore moins représentant des marines[10]. De plus, la date relativement tardive du sujet rend l’attribution à Cornelis Vroom problématique, car l’artiste semble avoir abandonné complètement les sujets maritimes à cette période de sa carrière. Quant à une attribution à Frederik Vroom[11], le jeune frère de Cornelis, elle se heurte à l’absence de corpus bien défini des oeuvres de cet artiste[12]. De plus, les quelques oeuvres que George Keyes et M. Russell lui attribuent prudemment présentent un trait nerveux et dense, éloigné de la clarté et même de la notable absence d’ombres que l’on trouve dans le dessin de Grenoble[13].
L’identité de l’artiste[14] qui a dessiné cette feuille demeure donc pour le moment inconnue, mais il convient sans doute de le placer dans l’entourage tardif ou parmi les suiveurs de Hendrik Vroom.


[1] Van Mander, 1604, fo 287 ro, 288 vo. Si certains détails du récit que rapporte Van Mander sont hauts en couleur et sujets à caution, l’essence doit en être véridique car l’auteur tenait probablement ces informations directement de Vroom qui, comme lui, résidait à Haarlem. Voir Van Mander, Miedema, 1994-1998, V, p. 226.
[2] Ses vues de sites français constituent les premières traces de son activité graphique ; voir Alsteens, Buijs, 2008, p. 227-232.
[3] Van Mander, Miedema, 1994-1998, V, p. 234, et Russell, 1983, p. 141-173.
[4] Jan Porcellis (1583/1585-1632).
[5] La feuille est dessinée sur ses deux faces : Vaisseau de la compagnie des Indes orientales et Marine, plume et encre brune, 21,3 × 16,6 cm, Inv. RP-T-1903-A-4766 (recto et verso), Amsterdam, Rijksprentenkabinet, Rijksmuseum.
[6] Boon, 1992, no 230.
[7] Bateaux de pêche, vers 1600, plume et encre brune, 14,8 x 19,4 cm, Inv. PAF5522, Greenwich, Londres, National Maritime Museum.
[8] Mes plus vifs remerciements à Remmelt Daalder, conservateur au Scheepsvaartmuseum à Amsterdam, pour son aide précieuse dans l’identification du type de bateau. Les « pinas » (qui n’ont rien à voir avec les actuelles pinasses françaises, naviguant notamment dans le bassin d’Arcachon) ont peu fait l’objet de représentations au XVIIe siècle. Willem van de Velde le Jeune a toutefois dessiné un type de navire similaire (mais sans cabine) dans une feuille conservée à Greenwich au National Maritime Museum (Inv. PAH1777).
[9] Cornelis Hendriksz Vroom (Haarlem ou Dantzig, vers 1590 – Haarlem, 1661).
[10] George Keyes lui attribue 37 dessins dans sa monographie (1975, II, no D1-D37 ; sept sont des marines ou des vues de rivières avec des embarcations), mais ce nombre a depuis été revu et moins de 25 feuilles lui sont aujourd’hui données avec quelque certitude ; voir cat. exp. Londres, Paris, Cambridge, 2002, n° 13.
[11] Frederik Vroom (Haarlem vers 1600 – id., 1667).
[12] Voir Boon.
[13] Keyes, 1982, p. 122-124 et pl. 8-9 ; Russell, 1983, p. 187- 191, 202-203 ; voir aussi Boon, 1992, n° 231.
[14] D’un point de vue stylistique, le dessin grenoblois présente un curieux mélange. L’aisance du dessinateur à représenter les détails du navire s’accorde mal avec les zigzags informes employés pour les contours des drapeaux. Ces éléments ont pu être ajoutés ultérieurement, par une autre main, quelque peu maladroite.

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