Statenjacht près de la côte
Avec son mât unique, sa coque à fond plat,
dont l’absence de quille est compensée par
les dérives de chaque côté de l’embarcation,
et enfin sa cabine à l’arrière, le navire représenté
au centre de ce dessin est certainement
un statenjacht, bateau de taille moyenne
destiné au transport des voyageurs de qualité.
Les deux grands trois-mâts à l’ancre que
l’on aperçoit à l’horizon, ainsi que la barque
emportant quatre personnages, indiquent que
nous sommes dans une rade proche de la côte.
Le statenjacht est en train de carguer ses voiles
ou de les affaler, quittant ou s’approchant au
contraire du point d’embarquement.
Cette feuille est entrée dans la collection de
Grenoble sous une attribution au dessinateur
Gerrit Groenewegen (Rotterdam, 1754-1826),
dont la carrière commence dans la seconde
moitié du XVIIIe siècle. Les caractéristiques
stylistiques du dessin ne s’apparentent toutefois
ni aux esquisses de petit format, beaucoup
moins finies, ni aux grandes aquarelles
de l’artiste[1]. On reconnaît bien plus la main
du peintre et dessinateur de marines Wigerus
Vitringa, actif plus tôt dans le siècle et auteur
de nombreuses feuilles très comparables à
celle-ci. Le Smalschip s’approchant de la côte, dessin signé et daté « 1705 », conservé au
National Maritime Museum de Greenwich,
présente ainsi un traitement fort similaire des
détails comme de la composition générale[2].
Wigerus Viringa naît dans une riche famille
patricienne de Leeuwarden, capitale de la
Frise. Son père est un grand avocat, secrétaire
de la Haute Cour de justice frisonne. Wigerus
et son frère Campegius vont tous deux à l’université
où ils obtiennent un doctorat. Tandis
que Campegius devient un éminent professeur
de théologie, Wigerus, docteur en droit,
s’installe comme juriste à Leeuwarden en 1678.
Il doit alors déjà avoir suivi une instruction
artistique, car ses premières oeuvres datent de 1675. En 1692, Vitringa est mentionné comme
résidant dans la ville d’Alkmaar[3], où il devient
membre de la guilde des peintres en 1696[4].
Il avait dû arriver à une date antérieure dans
cette ville située à l’ouest d’Amsterdam, car
son art dénote à ses débuts de fortes influences
des peintres de marines amstellodamois et
tout particulièrement de Ludolf Bakhuizen
(1630-1708). De plus, un dessin de sa main,
représentant l’abbaye d’Egmond, toute proche
d’Alkmaar, est daté de 1689. La liste des
membres de la guilde indique que Vitringa a
quitté la confrérie en 1706 et un acte notarié
de 1708 donne la probable explication à ce
départ : « Sr. Wigerus Vitringa […] anciennement
peintre en cette ville est empêché
d’exercer son art en raison de sa vue affaiblie
et donc de subvenir à ses besoins financiers[5]. »
Ce document ne nous informe pas seulement
de l’infirmité qui frappe alors Vitringa, mais
aussi du fait que celui-ci vivait auparavant
de ses revenus de peintre et dessinateur[6].
Contrairement à nombre de ses confrères
hollandais du Siècle d’or, il n’avait donc pas
à exercer un second métier parallèlement à
son activité artistique. Vitringa retourne en
Frise peu après l’établissement de cet acte et,
bien qu’on l’y qualifie d’« ancien peintre », il
produit encore des oeuvres et enseigne même
son art au jeune Tako Jelgersma (1702-1795)
qui dessine en 1721 un portrait de son maître.
C’est durant cette dernière période d’activité
de l’artiste qu’a été réalisée une seconde feuille de sa main conservée au musée de Grenoble (MG D 713). Signée et datée 1709, elle a figuré
à l’exposition des dessins hollandais de la
collection en 1977 et a pour particularité de
présenter des personnages au premier plan,
motif que Vitringa emploie rarement dans ses
dessins de marines[7].
[1] Pour Groenewegen voir cat. exp. Rotterdam, 1977.
[2] Wigerus Vitringa, graphite et lavis gris, 13,7 x 18,9 cm, signé et daté : « 1705 », Greenwich, Londres, National Maritime Museum, Inv. PAD8471.
[3] Belonje, 1959, p. 161.
[4] Obreen, 1877-1887, II, p. 36.
[5] Belonje, op. cit, p. 35.
[6] On n’a par ailleurs aucune trace d’une quelconque activité juridique de Vitringa pendant ses années à Alkmaar ; voir Giltaij et Kelch, 1996, p. 403.
[7] Grenoble, Cholet, Chambéry, 1977, no 70, p. 44, repr.
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