Le Ponte Salario

Le Ponte Salario (parfois aussi dit « Salaro »)
est l’un de ces pittoresques ponts fortifiés
remontant à l’époque romaine, que les artistes
ont souvent consignés dans leurs dessins[1]. Le
pont a beaucoup changé au cours des siècles :
des parties ont été détruites, transformées ou
adjointes à sa structure ainsi que le montrent
les nombreux dessins et estampes dont il
est le sujet[2]. Le Ponte Salario permet encore
aujourd’hui aux voitures de traverser la rivière
Aniene mais, de la construction que l’on pouvait
encore voir au XIXe siècle, seuls les deux
arcs latéraux ont survécu.
L’attribution du dessin de Grenoble demeure
épineuse. La technique comme l’écriture de
la feuille s’apparentent en effet aux oeuvres
de deux (voire trois) dessinateurs hollandais travaillant dans les années 1650-1660. Le premier
d’entre eux est Vincent Laurentsz van
der Vinne le Jeune (1628-1702). S’il voyage
beaucoup, notamment en Suisse et en France,
l’artiste ne pousse toutefois pas jusqu’à l’Italie.
L’exécution enlevée du dessin de Grenoble
suggère pourtant qu’il a été réalisé
sur le motif et n’est pas une répétition plus
tardive d’après une première esquisse[3]. Cela
semble donc exclure que l’auteur puisse en
être Van der Vinne.
Le deuxième artiste qui pourrait avoir dessiné
notre feuille est Jan Wils, dont le travail a été
mis en lumière par Stijn Alsteens et Hans Buijs
dans leur magistral ouvrage sur les artistes
nordiques qui voyagèrent et séjournèrent en
France aux XVIe et XVIIe siècles. Un autre dessin
de la collection grenobloise lui est ici attribué
(MG D 1680). On trouve dans les deux
feuilles une mise en place de la composition à
la pierre noire, avec une main assurée et toutefois
enlevée, puis une accentuation des ombres
et des reliefs à l’aide d’un lavis pareillement
gris, appliqué avec dextérité. C’est avec le dessin
conservé à Cambridge que la Vue du Ponte
Solario présente le plus de points de comparaison
(Fitzwilliam Museum, Inv. PD.276-1963). On note en particulier une
manière très proche de consigner les détails
des bâtiments (ouvertures, pierres, angles des
murs) et surtout ce même trait vibrant qui
dessine les contours des créneaux.
Si l’on a suggéré qu’il puisse y avoir un troisième
candidat pour la paternité de ce dessin
de Grenoble, c’est que l’identification de
l’oeuvre graphique de Jan Wils est complexe[4].
Ainsi que l’a bien noté Stijn Alsteens, Wils aurait eu cinquante ans à la date de son voyage
dans le sud de l’Europe, âge fort avancé pour
les artistes qui vont en France et en Italie à
l’époque[5]. On peut donc se demander si ce
n’est pas plutôt son fils aîné, Joan Wils, qui
fait le voyage et auquel on pourrait attribuer
au moins une partie de l’oeuvre actuellement
sous le nom de son père. Dans l’état actuel des
recherches, il est difficile de se prononcer et il
faut espérer que le corpus de ou des Wils sera
précisé à l’avenir.
Il est par ailleurs difficile de dater précisément
le dessin en se fondant sur l’aspect du pont. En
effet, les premières estampes le représentant
datent du début du XVIIIe siècle ; quant aux dessins
qui en donnent une vue au siècle précédent,
ils ne fournissent pas de renseignements
suffisamment précis[6].
[1] Toutefois, le Ponte Mollo et le Ponte Nomentano semblent avoir été plus souvent dessinés au XVIIe siècle. Le Ponte Salario est devenu un sujet privilégié des peintres et des graveurs au siècle suivant (voir note 2).
[2] Pour un aperçu de ces transformations au cours des XVIIIe et XIXe siècles, voir Catelli Isola, 1975, nos 117, 124, 130, 145, 155, 177, 207, 219, 220. On peut également signaler deux belles feuilles au musée du Louvre représentant le Ponte Salario : celles de Jean-Jacques de Boissieu et de Turpin de Crissé.
[3] C’est en revanche probablement le cas du dessin d’Adam Pynacker, dans une collection privée, qui égalise les contours du pont et le représente au pied d’une colline n’apparaissant sur aucune autre vue du site. Voir Amsterdam, 2001, fig. E, p. 182, p. 180.
[4] Je tiens à remercier Stijn Alsteens et Hans Buijs d’avoir discuté avec moi de ce dessin et de la complexité des attributions à « Jan Wils ».
[5] Stijn Alsteens dans Alsteens et Buijs, 2008, p. 283.
[6] Comme on l’a vu (note 3), le dessin de Pynacker transforme sans nul doute l’aspect et les environs du pont. Quant à la feuille qu’Anne Charlotte Steland attribue avec prudence à Herman van Swanevelt, elle présente le pont à distance et donne peu d’indications sur les détails de la construction. Steland, 2010, I, n° Z 3, 14, p. 334 ; II, ill. Z 277, p. 684.
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