Le Ponte Salario

Jan WILS (attribué à)
XVIIe siècle
Pierre noire et lavis d'encre grise, trait d'encadrement à la pierre noire sur papier vergé crème
18,4 x 28,2 cm
Crédit photographique :
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix
Acquisition :
Legs de M. Léonce Mesnard en 1890, entré au musée en 1902 (lot 3548, n°1805).

Voir sur navigart

Le Ponte Salario (parfois aussi dit « Salaro ») est l’un de ces pittoresques ponts fortifiés remontant à l’époque romaine, que les artistes ont souvent consignés dans leurs dessins[1]. Le pont a beaucoup changé au cours des siècles : des parties ont été détruites, transformées ou adjointes à sa structure ainsi que le montrent les nombreux dessins et estampes dont il est le sujet[2]. Le Ponte Salario permet encore aujourd’hui aux voitures de traverser la rivière Aniene mais, de la construction que l’on pouvait encore voir au XIXe siècle, seuls les deux arcs latéraux ont survécu.
L’attribution du dessin de Grenoble demeure épineuse. La technique comme l’écriture de la feuille s’apparentent en effet aux oeuvres de deux (voire trois) dessinateurs hollandais travaillant dans les années 1650-1660. Le premier d’entre eux est Vincent Laurentsz van der Vinne le Jeune (1628-1702). S’il voyage beaucoup, notamment en Suisse et en France, l’artiste ne pousse toutefois pas jusqu’à l’Italie. L’exécution enlevée du dessin de Grenoble suggère pourtant qu’il a été réalisé sur le motif et n’est pas une répétition plus tardive d’après une première esquisse[3]. Cela semble donc exclure que l’auteur puisse en être Van der Vinne.
Le deuxième artiste qui pourrait avoir dessiné notre feuille est Jan Wils, dont le travail a été mis en lumière par Stijn Alsteens et Hans Buijs dans leur magistral ouvrage sur les artistes nordiques qui voyagèrent et séjournèrent en France aux XVIe et XVIIe siècles. Un autre dessin de la collection grenobloise lui est ici attribué (MG D 1680). On trouve dans les deux feuilles une mise en place de la composition à la pierre noire, avec une main assurée et toutefois enlevée, puis une accentuation des ombres et des reliefs à l’aide d’un lavis pareillement gris, appliqué avec dextérité. C’est avec le dessin conservé à Cambridge que la Vue du Ponte Solario présente le plus de points de comparaison (Fitzwilliam Museum, Inv. PD.276-1963). On note en particulier une manière très proche de consigner les détails des bâtiments (ouvertures, pierres, angles des murs) et surtout ce même trait vibrant qui dessine les contours des créneaux.
Si l’on a suggéré qu’il puisse y avoir un troisième candidat pour la paternité de ce dessin de Grenoble, c’est que l’identification de l’oeuvre graphique de Jan Wils est complexe[4]. Ainsi que l’a bien noté Stijn Alsteens, Wils aurait eu cinquante ans à la date de son voyage dans le sud de l’Europe, âge fort avancé pour les artistes qui vont en France et en Italie à l’époque[5]. On peut donc se demander si ce n’est pas plutôt son fils aîné, Joan Wils, qui fait le voyage et auquel on pourrait attribuer au moins une partie de l’oeuvre actuellement sous le nom de son père. Dans l’état actuel des recherches, il est difficile de se prononcer et il faut espérer que le corpus de ou des Wils sera précisé à l’avenir.
Il est par ailleurs difficile de dater précisément le dessin en se fondant sur l’aspect du pont. En effet, les premières estampes le représentant datent du début du XVIIIe siècle ; quant aux dessins qui en donnent une vue au siècle précédent, ils ne fournissent pas de renseignements suffisamment précis[6].


[1] Toutefois, le Ponte Mollo et le Ponte Nomentano semblent avoir été plus souvent dessinés au XVIIe siècle. Le Ponte Salario est devenu un sujet privilégié des peintres et des graveurs au siècle suivant (voir note 2).
[2] Pour un aperçu de ces transformations au cours des XVIIIe et XIXe siècles, voir Catelli Isola, 1975, nos 117, 124, 130, 145, 155, 177, 207, 219, 220. On peut également signaler deux belles feuilles au musée du Louvre représentant le Ponte Salario : celles de Jean-Jacques de Boissieu et de Turpin de Crissé.
[3] C’est en revanche probablement le cas du dessin d’Adam Pynacker, dans une collection privée, qui égalise les contours du pont et le représente au pied d’une colline n’apparaissant sur aucune autre vue du site. Voir Amsterdam, 2001, fig. E, p. 182, p. 180.
[4] Je tiens à remercier Stijn Alsteens et Hans Buijs d’avoir discuté avec moi de ce dessin et de la complexité des attributions à « Jan Wils ».
[5] Stijn Alsteens dans Alsteens et Buijs, 2008, p. 283.
[6] Comme on l’a vu (note 3), le dessin de Pynacker transforme sans nul doute l’aspect et les environs du pont. Quant à la feuille qu’Anne Charlotte Steland attribue avec prudence à Herman van Swanevelt, elle présente le pont à distance et donne peu d’indications sur les détails de la construction. Steland, 2010, I, n° Z 3, 14, p. 334 ; II, ill. Z 277, p. 684.

Découvrez également...