Arbres au bord d'une rivière

Lodewijk DE VADDER
XVIIe siècle
Pierre noire, lavis d'encre grise, restes de trait d'encadrement au graphite sur papier vergé beige en deux feuilles assemblées avec pliure centrale
22,9 x 28,9 cm
Crédit photographique :
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix
Acquisition :
Legs de M. Léonce Mesnard en 1890, entré au musée en 1914 (lot 2943).

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Cette belle feuille, dont le charme n’est pas entamé par les taches d’atelier qui parsèment sa surface, est entrée dans la collection sous le nom de Lucas van Uden. L’attribution a ensuite, à juste titre, été rejetée, et le dessin était jusqu’à aujourd’hui classé parmi les anonymes flamands[1]. L’exécution graphique comme le sujet représenté rapprochent l’oeuvre des études produites par Lodewijk de Vadder. Peintre de paysages, aquafortiste et créateur de cartons pour la tapisserie, cet artiste est considéré comme le fondateur et l’une des figures de proue de l’école de Bruxelles[2]. Il est d’ailleurs désigné par son contemporain le tapissier Baudouin van Beveren comme « le meilleur paysagiste » du pays[3]. On ne sait rien de sa formation mais De Vadder devient maître auprès de la guilde de Saint-Luc de Bruxelles en 1628 et « peintre privilégié » des cartons de tapisserie bruxellois[4] en 1644.
Les paysages créés par Lodewijk de Vadder s’inspirent des sites des environs de Bruxelles et notamment de ceux de la forêt de Soignes, au sud-est de la ville[5]. Il y fait des études d’après nature qu’il complète parfois en atelier comme c’est probablement le cas d’une de ses feuilles conservées à Hambourg (Hamburger Kunsthalle, Kupferstichkabinett, Inv. n°22604)[6].
Ses oeuvres se caractérisent par un traitement spontané, enlevé et un rendu que l’on pourrait qualifier d’atmosphérique. Aux touches libres de ses tableaux répondent les longues hachures hâtives de ses esquisses dessinées. La page que Cornelis de Bie consacre à l’artiste contient un éloge de son travail qui semble avoir été rédigé pour décrire la feuille grenobloise : « [lorsque la nature était à l’apogée de sa beauté,] on voyait alors l’esprit de De Vadder moissonner les fruits de l’été ; il allait en forêt au plus près des arbres pour approcher la liberté et la souplesse de leur nature [… il dépeignait] les ruisseaux couverts ici et là d’herbes et d’iris des marais, les étangs dans lesquels on voit se refléter les arbres[7] ». Les plans d’eau, où se mire la végétation sylvestre, sont en effet des sujets que l’artiste aime à représenter et l’on découvre notamment des échos de la composition de notre dessin dans l’une de ses eaux-fortes[8].
On retrouve dans la feuille de Grenoble d’autres motifs qui caractérisent les études de De Vadder. Si les deux dessins de Turin et celui de la Collection Frits Lugt sont réalisés dans une technique différente – à la pointe du pinceau et non pas à la pierre noire comme ici –, ils présentent tous trois ces mêmes troncs d’arbres fins et penchés et, pour Turin, ces iris qu’affectionne De Vadder, selon les dires de Cornelis de Bie[9]. Plusieurs dessins, dans lesquels De Vadder utilise cette fois essentiellement une technique sèche, sont proches de la facture de l’oeuvre grenobloise. Dans une feuille conservée à Francfort, exécutée à la pierre noire et rehaussée de lavis, la cime arrondie des arbres est traitée de façon fort similaire[10]. On retrouve cette même caractéristique dans un dessin conservé à Édimbourg, accompagnée des hachures parallèles que l’on voit généralement dans les feuilles de l’artiste[11]. Celles-ci dominent le paysage conservé à Hambourg qui présente bien des similitudes avec le dessin de Grenoble[12].
L’oeuvre dessiné de De Vadder n’a pas encore reçu suffisamment d’attention pour être bien défini et surtout clairement distingué des feuilles de Jacques d’Artois (1623-1686) et de Lucas Achtschellinck (1628-1699) qui fut probablement son élève[13]. D’Artois, devenu maître peintre en 1644, prend la tête des paysagistes bruxellois après le décès de De Vadder[14]. Ses dessins sont toutefois plus décoratifs et lorsqu’il utilise la pierre noire, ses hachures sont plus courtes et moins nerveuses que celles traditionnellement associées avec l’oeuvre de De Vadder[15].


[1] Les dessins du peintre anversois Lucas van Uden (1595- 1672) ne présentent pas le caractère très enlevé, esquissé, que l’on trouve ici. Toutefois, De Vadder a probablement connu personnellement son confrère ; voir Van Sprang, 2000, p. 186.
[2] Ibid., et Klaus Ertz dans Essen, Vienne, 2003-2004, p. 364.
[3] Le tapissier lui a d’ailleurs versé la somme colossale de 1 000 florins pour la réalisation d’un carton pour Diane et Pan. Voir notamment Klaus Ertz dans Essen, Vienne, 2003-2004, p. 367, note 11 et Y. Thiery, M. Kervyn de Meerendré, 1987, p. 113.
[4] Il ne s’agit pas d’un titre à proprement parler : le magistrat de Bruxelles accorde à De Vadder certains privilèges en lien avec ses activités de cartonnier au service des liciers de la ville ; voir Van Sprang, 2000, p. 187-188.
[5] Pour la forêt de Soignes comme source d’inspiration des paysagistes bruxellois, voir Van Sprang, 2000, passim et pour De Vadder, ibid., p. 186-187.
[6] Stefes, 2011, n°1050, II, p. 553.
[7] De Bie, 1661, p. 98 : « Dan sachmen VADDERS gheest maeyen des Somers vrucht,/ Dan ginck hy naer het wout in’t dichtste van de boomen/ Om hunnen lossen aert in’t leven by te comen […] De beecxkens hier en daer met cruyt en lis bewassen/ Daermen de boomen oock siet schijnen inde plassen. »
[8] Hollstein, 1949-2010, XXXI, n°10.
[9] Sciolla, 2007, n°30, p. 40 ; Teréz Gerszi dans Turin, 1990, n° 143 ; Londres, Paris, Berne, Bruxelles, 1972, n°113, pl. 98.
[10] Graphische Sammlung im Städelschen Kunstinstitut, Francfort-sur-le-Main, Inv. 2810 (voir site du RKD, ill. n°0000195072).
[11] National Gallery of Scotland, Inv. n°RSA 86 ; voir Andrews, 1985, I, p. 89 et II, fig. 592.
[12] Fusain, lavis gris et brun, 18,4 x 27,5 cm, Hambourg, Hamburger Kunsthalle, Kupferstichkabinett, Inv. n°22604.
[13] C’est ce qu’affirme Cornelis de Bie (1661, p. 399) et que Sabine van Sprang considère comme plausible (Van Sprang, p. 191, note 48).
[14] Van Sprang, 2000, p. 187-188 et Klaus Ertz dans Essen, Vienne, 2003-2004, p. 364.
[15] Voir ainsi la feuille de Hambourg, Inv. 21635, Stefes, 2011, n°13, ill.

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