Grande cascade sur le Weissenstein

Johann Heinrich MÜNTZ
1790
Plume et encre brune, lavis d'encres brune et grise, très légère mise au carreau au graphite, trait d'encadrement à la plume et à l'encre brune sur papier vergé beige clair composé de trois morceaux de papier découpés et recollés ; feuille collée en charnière à gauche sur une autre feuille de papier vergé beige, elle-même collée en charnière à gauche sur papier vergé beige fort
12 x 18,5 cm
Crédit photographique :
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix
Acquisition :
Mode d'acquisition inconnu, probablement collection L. Mesnard

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Johann Heinrich Müntz est un dessinateur, graveur, architecte et peintre de paysages. Artiste voyageur, il travaille dans les domaines les plus variés. Une monographie, faisant le point sur l’activité de ce peintre dans les différents pays où il réside, reste à écrire même si Teresa Badenoch[1] lui a consacré une thèse en 1986, inédite, ainsi que différents articles. Müntz commence sa carrière en Espagne et la poursuit à Rome où il vit entre 1749 et 1753. À partir de cette période, il s’intéresse aux vases et aux urnes et concrétise cet intérêt en réalisant des recueils sur ce sujet jusque dans les années 1780[2]. En 1753, il est à Nantes comme officier français et séjourne ensuite en Angleterre. Il travaille alors pour Horace Walpole, exécutant des portraits, des scènes de genre et des paysages à Strawberry Hill tout en exposant à la Société des artistes. Il publie à Londres en 1760 un traité sur la peinture à l’encaustique et rédige A Course of Gothic Architecture. Il figure parmi les pionniers du mouvement néogothique et construit vers 1760 quelques monuments dans ce style. On lui doit vraisemblablement la cathédrale dans les Kew Gardens tout comme des fabriques inspirées de l’architecture orientale[3]. Après être tombé en disgrâce auprès de Walpole, il voyage dans le Moyen-Orient et en Grèce puis s’installe dans les Pays-Bas vers 1766 où il s’intéresse à la métallurgie tout en poursuivant ses recherches sur la gravure.
Sa présence est attestée en Pologne entre 1778 environ et 1785. Il y porte le titre de « major du roi de Pologne » qu’il conserve par la suite. Proche du souverain Stanislas Poniatowski, il accompagne celui-ci dans ses voyages, dessinant des paysages, notamment de la Podolie, aujourd’hui en Ukraine[4]. Il travaille aussi comme architecte et trace en particulier les plans de la résidence royale à Korsún. Le dessin de Grenoble s’inscrit dans la dernière période de son activité, à Kassel. Le landgrave Guillaume IX prend le pouvoir en 1785 et fait bâtir l’année suivante le château de Wilhelmshöhe, conçu par Simon Louis du Ry, à la place de l’ancienne résidence de Weissenstein. Le landgrave aménage aussi entièrement le parc du château pour le transformer en jardin anglais. Heinrich Christoph Jussow, successeur de Du Ry depuis 1788, est l’architecte de cette immense entreprise et c’est lui qui, entre 1788 et 1791, construit l’aqueduc visible sur ce dessin de Müntz. Ce monument de 200 mètres de long est une ruine artificielle, construite sur des arcades entièrement en basalte. L’endroit où l’eau se déverse dans la vallée est en plus signalé par une tour. L’intégration harmonieuse de la ruine dans le paysage et les jeux d’eau cascadant figurent parmi les attractions de ce site gigantesque, aménagé et façonné par la main de l’homme.
L’artiste enregistre les transformations du jardin dans un album de dix-neuf aquarelles, intitulé Dessins de Müntz de Wilhelmshöhe, exécuté entre 1786 et 1793 et conservé à la Museumslandschaft Hessen Kassel. Le dessin inédit de Grenoble est préparatoire à une des feuilles de l’album[5]. Teresa Badenoch a consacré une étude à ce volume en 1986 et constate que l’ordre des dessins suit une visite imaginaire[6]. Müntz voulait- il publier ces feuilles ? Ou étaient-elles destinées au landgrave ? Ce n’est qu’après la mort de l’artiste que son étudiante et héritière, Karolina Stumpfeld, vendra l’album à Guillaume IX. La feuille étudiée ici, exécutée entre le 8 et 12 juillet 1790, lors d’une visite du prince de Waldeck, est datée du même jour que l’aquarelle de Kassel. Dans l’arrière-plan du dessin grenoblois, on voit surgir le fameux Hercule du Karlsberg, supprimé sur la version aboutie de Kassel. De nombreuses inscriptions accompagnent le dessin préparatoire de Müntz ce qui révèle une grande attention aux détails et un soin particulier apporté à son recueil.
La littérature autour du jardin de Wilhelmshöhe est considérable depuis quelques années[7]. Pourtant, le rôle de Müntz dans ce réaménagement reste difficile à cerner ainsi que son activité à Kassel. L’artiste signe en tout cas le dessin de Grenoble « Major du roi de Pologne », ce qui indique qu’aucun nouveau titre ne lui a été décerné par le landgrave. Peut-être ses connaissances dans le domaine des jardins anglais l’ont-elles amené à travailler comme conseiller de ce dernier à Kassel, après avoir quitté Poniatowski lors d’un séjour en Italie ? En 1802, en tout cas, un monument est érigé en son honneur par J. C. Ruhl, près de Wilhelmshöhe (disparu aujourd’hui).


[1] Aujourd’hui Teresa Watts.
[2] McCarthy, 1977, p. 339.
[3] Voir Watts 1994, p. 42.
[4] Voir Budzinska, 1982.
[5] Museumslandschaft Hessen Kassel, Inv. 6.2.389.
[6] Badenoch, 1986, p. 50-61.
[7] Becker et Karkosch, 2007, Stubbe, 2009.

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