Grande cascade sur le Weissenstein

Johann Heinrich Müntz est un dessinateur,
graveur, architecte et peintre de paysages.
Artiste voyageur, il travaille dans les domaines
les plus variés. Une monographie, faisant le
point sur l’activité de ce peintre dans les différents
pays où il réside, reste à écrire même
si Teresa Badenoch[1] lui a consacré une thèse
en 1986, inédite, ainsi que différents articles.
Müntz commence sa carrière en Espagne
et la poursuit à Rome où il vit entre 1749 et 1753. À partir de cette période, il s’intéresse
aux vases et aux urnes et concrétise cet intérêt
en réalisant des recueils sur ce sujet jusque
dans les années 1780[2]. En 1753, il est à Nantes
comme officier français et séjourne ensuite
en Angleterre. Il travaille alors pour Horace
Walpole, exécutant des portraits, des scènes
de genre et des paysages à Strawberry Hill tout
en exposant à la Société des artistes. Il publie
à Londres en 1760 un traité sur la peinture
à l’encaustique et rédige A Course of Gothic
Architecture. Il figure parmi les pionniers du
mouvement néogothique et construit vers
1760 quelques monuments dans ce style. On
lui doit vraisemblablement la cathédrale dans
les Kew Gardens tout comme des fabriques
inspirées de l’architecture orientale[3]. Après
être tombé en disgrâce auprès de Walpole, il
voyage dans le Moyen-Orient et en Grèce puis
s’installe dans les Pays-Bas vers 1766 où il s’intéresse
à la métallurgie tout en poursuivant ses
recherches sur la gravure.
Sa présence est attestée en Pologne entre 1778
environ et 1785. Il y porte le titre de « major
du roi de Pologne » qu’il conserve par la suite.
Proche du souverain Stanislas Poniatowski,
il accompagne celui-ci dans ses voyages, dessinant
des paysages, notamment de la Podolie,
aujourd’hui en Ukraine[4]. Il travaille aussi
comme architecte et trace en particulier les
plans de la résidence royale à Korsún.
Le dessin de Grenoble s’inscrit dans la dernière
période de son activité, à Kassel. Le landgrave
Guillaume IX prend le pouvoir en 1785 et
fait bâtir l’année suivante le château de Wilhelmshöhe,
conçu par Simon Louis du Ry, à la
place de l’ancienne résidence de Weissenstein.
Le landgrave aménage aussi entièrement le
parc du château pour le transformer en jardin
anglais. Heinrich Christoph Jussow, successeur
de Du Ry depuis 1788, est l’architecte de
cette immense entreprise et c’est lui qui, entre
1788 et 1791, construit l’aqueduc visible sur ce dessin de Müntz. Ce monument de 200 mètres
de long est une ruine artificielle, construite sur
des arcades entièrement en basalte. L’endroit
où l’eau se déverse dans la vallée est en plus
signalé par une tour. L’intégration harmonieuse
de la ruine dans le paysage et les jeux
d’eau cascadant figurent parmi les attractions
de ce site gigantesque, aménagé et façonné par
la main de l’homme.
L’artiste enregistre les transformations du jardin
dans un album de dix-neuf aquarelles, intitulé
Dessins de Müntz de Wilhelmshöhe, exécuté
entre 1786 et 1793 et conservé à la Museumslandschaft
Hessen Kassel. Le dessin inédit de
Grenoble est préparatoire à une des feuilles de
l’album[5]. Teresa Badenoch a consacré une étude
à ce volume en 1986 et constate que l’ordre des
dessins suit une visite imaginaire[6]. Müntz voulait-
il publier ces feuilles ? Ou étaient-elles destinées
au landgrave ? Ce n’est qu’après la mort de
l’artiste que son étudiante et héritière, Karolina
Stumpfeld, vendra l’album à Guillaume IX. La
feuille étudiée ici, exécutée entre le 8 et 12 juillet
1790, lors d’une visite du prince de Waldeck,
est datée du même jour que l’aquarelle de Kassel.
Dans l’arrière-plan du dessin grenoblois,
on voit surgir le fameux Hercule du Karlsberg,
supprimé sur la version aboutie de Kassel. De
nombreuses inscriptions accompagnent le dessin
préparatoire de Müntz ce qui révèle une
grande attention aux détails et un soin particulier
apporté à son recueil.
La littérature autour du jardin de Wilhelmshöhe
est considérable depuis quelques
années[7]. Pourtant, le rôle de Müntz dans ce
réaménagement reste difficile à cerner ainsi
que son activité à Kassel. L’artiste signe en
tout cas le dessin de Grenoble « Major du roi
de Pologne », ce qui indique qu’aucun nouveau
titre ne lui a été décerné par le landgrave.
Peut-être ses connaissances dans le domaine
des jardins anglais l’ont-elles amené à travailler
comme conseiller de ce dernier à Kassel,
après avoir quitté Poniatowski lors d’un séjour
en Italie ? En 1802, en tout cas, un monument
est érigé en son honneur par J. C. Ruhl, près de
Wilhelmshöhe (disparu aujourd’hui).
[1] Aujourd’hui Teresa Watts.
[2] McCarthy, 1977, p. 339.
[3] Voir Watts 1994, p. 42.
[4] Voir Budzinska, 1982.
[5] Museumslandschaft Hessen Kassel, Inv. 6.2.389.
[6] Badenoch, 1986, p. 50-61.
[7] Becker et Karkosch, 2007, Stubbe, 2009.
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