Portrait-charge
Les deux dessins du musée de Grenoble (MG D 1047 ; MG D 1048 ) ont manifestement fait l’objet d’une erreur d’attribution. Entrés en 1902 par le legs de Léonce Mesnard, ils sont d’abord inventoriés sous le nom de Dantan, sans mention du prénom. Dans les années 1950, le prénom d’Édouard Joseph est ajouté dans l’inventaire. Or, à notre connaissance, le peintre Édouard Joseph Dantan n’a jamais produit de caricature. Ces dessins sont donc sans doute de la main de son oncle, Jean-Pierre Dantan, qui fut un célèbre caricaturiste sous la monarchie de Juillet. L’analyse de la signature, visible sur l’un de ces dessins, semble aussi exclure Édouard Joseph, au profit de Jean-Pierre, ou encore d’Antoine Laurent, son frère aîné, qui fit une honorable carrière au Salon et céda quelques fois au plaisir de composer des charges. Considéré, avant Daumier, comme l’inventeur de la caricature sculptée, Jean-Pierre Dantan réalise des centaines de petits bustes-charge de ses contemporains, largement diffusés en son temps, « dans tous les formats et de toutes les façons imaginables », indique son biographe Félix Andry, qui énumère non sans humour les innombrables reproductions des statuettes « en lithographies d’abord, bien entendu, mais même en essuie-plumes, en cachets […], en pelotes, en pipes, en mouchoirs de poche, en bonnets grecs, en écrans, en paravents, en cornets de dragées ; que dis-je ? en robes de chambre, en rideaux, en tentures d’appartements »[1]. Nous n’avons pu identifier de dessins préparatoires aux bustes dans les collections publiques, en raison sans doute de la « maigreur des sources[2] » relatives à Dantan jeune. Néanmoins, les têtes énormes et les corps minuscules rappellent la stylisation caractéristique de ses sculptures. Plusieurs témoignages contemporains relatent aussi l’abondance de la production graphique de l’artiste[3]. Félix Andry décrit ainsi son atelier : « Alentour, sur les murs, que de cadres exquis ! Quels dessins variés, pochades et croquis[4] ! » Doué d’une grande mémoire visuelle, Dantan photographiait instantanément les traits d’une personne et la croquait littéralement sur un coin de table : « Le modèle, en effet, ne vint jamais poser / Et Dantan, chaque fois eut l’art d’improviser. / Talleyrand, Crémieux, furent conçus à table ; / Le roi Louis-Philipe, à le voir en passant ; / Tel juge, au tribunal ; tel autre, en conversant[5]. » Dantan dessine donc partout et tout le temps. Il n’a pas été possible d’établir l’identité des deux modèles caricaturés. On sait que Dantan accorde un rôle-clé au travail d’identification du modèle, puisqu’il inscrit un rébus visuel sur le socle de ses charges pour permettre au spectateur de deviner le nom du statufié. Ses caricatures prennent essentiellement pour cible les célébrités du monde du spectacle, notamment les vedettes de théâtre ou de salle de concerts, qu’il préfère au personnel politique de son temps[6]. L’un des portraits-charge de Grenoble pourrait représenter Victor Hugo. Le front agrandi, le nez crochu et la bouche pincée sont caractéristiques des caricatures du grand homme, dont Dantan a par ailleurs produit un buste assez proche.
[1] Félix Andry, Charges et bustes de Dantan jeune : esquisse biographique dédiée à Méry / par Prosper Viro, Paris, Librairie nouvelle, 1863, p. 69.
[2] La responsabilité en serait imputable à la jeune veuve de Dantan, qui aurait détruit une partie du fonds d’atelier de l’artiste. Voir sur ce point, Janet Seligman, Figures of Fun. The caricature statuettes of Jean-Pierre Dantan, London, Oxford University Press, 1957, et Laurent Baridon, « Jean-Pierre Dantan, le caricaturiste de la statuomanie », in Ridiculosa, n° 13, Sculptures et caricatures, Brest, UBO, 2006, p. 127.
[3] Un article de la Revue d’Alsace souligne que Dantan crayonnait beaucoup au crayon ou au charbon. Cf. E. Fillonneau, « Dantan (jeune), mort à Bade », in Revue d'Alsace, Colmar, Fédération des sociétés d'histoire et d'archéologie d'Alsace, 1869.
[4] Félix Andry, op. cit., p. 28.
[5] Ibid., p. 43.
[6] Dantan entretenait d’ailleurs des liens étroits avec le monde de la scène, au point d’imaginer les masques caricaturaux des danseurs de l’Opéra pour un bal masqué de 1834 et de modeler le masque de Quasimodo dans l’adaptation de Notre-Dame de Paris, par Victor Hugo.
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