Martyre de sainte Philomène

Camille-Auguste GASTINE
1852
Crayon graphite, lavis d'encre brune et gouache blanche sur papier vergé chamois
29,6 x 45,3 cm
Crédit photographique :
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix
Acquisition :
Legs de Léonce Mesnard en 1890, entré au musée en 1902 (lot 3555, n°1205)

Voir sur navigart

Comme la sanguine Femme à genoux en prière _, ce dessin figure, à son entrée au musée en 1902, sous une attribution erronée (Romain Cazes). Il doit être rendu pareillement à Camille-Auguste Gastine en raison cette fois de la présence de la marque de collection, apposée en bas au centre lors de la vente après décès de l’artiste en 1869 [1] et répertoriée récemment dans la base Lugt sous le numéro L.4555 [2]. L’inscription figurant en bas à droite, identifiant le thème comme un « Martyre de Ste Agnès pour Bez », est elle aussi inexacte car il s’agit en fait d’un _Martyre de sainte Philomène. Sainte imaginaire, dont la légende s’est forgée au début du XIXe siècle et dont le culte se développe en France grâce au curé d’Ars, sainte Philomène a pour attributs une ancre, avec laquelle elle aurait été jetée dans le Tibre, et une épée, avec laquelle elle est finalement décapitée. C’est précisément cette scène qui figure au centre de la composition. Cette hypothèse est confirmée par le catalogue de la vente après décès de 1869. En effet, la feuille de Grenoble y figure sous ce titre à la page 12, dans la section « Dessins / Compositions pour Tableaux, par C. Gastine ». Le même catalogue nous apprend en outre, dans la section « Rapport de ses travaux », que l’artiste a réalisé des « vitraux pour Béziers, représentant une sainte Philomène et une Mater Dolorosa _» [3]. La forme semi-circulaire de la composition du dessin, son traitement en trois compartiments distincts, incitent à voir en lui une étape préparatoire au vitrail de Béziers, ce que suggère l’inscription « Bez » au crayon graphite. Dans la biographie parue en 1867, l’auteur raconte comment Camille-Auguste Gastine, « sur la proposition d‘un industriel, […] accepta de peindre à demeure et de composer des vitraux » [4]. Cet industriel, Alexandre Mauvernay, ami et disciple d’Ingres, emploie un nombre important de peintres dans sa manufacture de vitraux de Saint-Galmier et habille de verrières de nombreuses églises de la Loire, du Rhône et de l’Hérault. Parmi ces artistes, on compte Raymond Balze, lui aussi élève d’Ingres et ami de Gastine [5]. La collaboration de Gastine avec Mauvernay ne dure que dix mois, pendant lesquels il compose de nombreux vitraux, mais son nom n’apparaît pas sur ces réalisations, toutes signées du nom du verrier. « Il composa et peignit : M. Mauvernay signa », résume son biographe [6]. Parmi tous les projets de Gastine pour cette manufacture cités par l’auteur, on retrouve « Pour Béziers, il compose et il peint Sainte Philomène et un _[Mater Dolorosa] [sic] » ^7. Grâce au journal de l’artiste, conservé chez ses descendants, il est possible de dater précisément le vitrail du Martyre de sainte Philomène de mars 1852, période à laquelle apparaissent les premières dissensions avec le verrier qui conduiront l’année suivante à leur rupture [8]. Si le fonds d’atelier de Gastine comprend nombre d’études de figures à la sanguine ou au crayon graphite, on y trouve aussi des feuilles dont le traitement est très proche de la feuille de Grenoble, avec ces rehauts de gouache sur papier gris que l’artiste semble avoir privilégié dans la préparation de ses projets de vitraux. Le Metropolitan Museum de New York conserve deux figures en pied, une Mater Dolorosa [9] et un Saint Mathieu , dont la technique est identique. Une Étude de Christ tourné vers la gauche, figurant dans le catalogue de vente de la galerie Prouté en 2010, très proche dans son traitement, comporte de son côté une inscription « Rosace de Béziers » qui vient confirmer cette hypothèse. Dans le dessin de Grenoble, l’artiste combine les techniques graphiques de manière quasi picturale : ses rehauts de gouache blanche soulignent la pureté des auréoles de la sainte et des anges, leur robe virginale, la délicatesse des lys blancs, symbole d’innocence, quand le crayon graphite, accentué de quelques touches de lavis, donne une épaisseur et une densité à la couronne tressée, qui telle une mandorle, cerne la scène centrale.


[1] Catalogue des tableaux, dessins, aquarelles de Camille-Auguste Gastine […], Hôtel Drouot, […], Paris, 1868. La vente s’est déroulée les 5 et 6 janvier 1869.
[2] La marque était illisible sur le dessin de Grenoble et c’est seulement après la parution en 2010 de celle-ci dans la base Lugt qu’elle put être identifiée.
[3] E.A.G., op. cit., p. 3.
[4] Ibid., p. 7
[5] Gastine rencontre les frères Balze, Paul et Raymond, tous deux artistes, en Italie en 1844. Celui-ci les accompagne en 1850 à Rome et les aide dans leur copie des fresques de Raphaël (Loges du Vatican), faites à la demande d’Ingres, alors directeur de l’Académie de France à Rome.
[6] E.A.G., op. cit., p. 7.
[8] Le journal, inédit, consigne scrupuleusement événements familiaux et activités artistiques. On y lit, en mars 1852 : « Composition de Se Philomène pour Béziers ». En mars 1853, l’artiste écrit : « Rupture avec M. Mauvernay dont la mauvaise foi est manifeste et qui ne veut point se départir de ses mauvais procédés. Il espère me maintenir auprès de lui par la nécessité et le manque d’argent ». Je remercie ici les descendants de l’artiste de m’avoir signalé ce document et d’en avoir effectué le dépouillement.
[9] Peut-être celle de Béziers, inv. 1992.219.2.

Découvrez également...