Paysage avec pont et château

Cette feuille est entrée dans la collection de
Grenoble avec une attribution à Jan Hackaert
(pour un dessin de cet artiste, voir MG D 1716), en
raison de la signature apocryphe appliquée au
bas du dessin. L’écriture de ce paysage est toutefois
assez éloignée des oeuvres de cet artiste
et l’on peut au contraire y reconnaître des
motifs et une technique caractéristiques du
dessinateur flamand Gillis Neyts.
Les deux constructions à gauche qui dominent
la composition de la feuille se trouvent dans
plusieurs tableaux signés de Neyts. Dans les
Staatliche Kunstsammlungen de Dresde sont
conservées deux huiles sur toile reprenant chacune
l’un des motifs architecturaux du dessin.
Dans le grand Paysage avec ruine[1], le peintre a
placé le bâtiment circulaire (une ancienne tour
de rempart ?) de façon proéminente devant un
rideau de verdure[2]. La composition grenobloise
présente cette même tour surplombée
par une autre ruine, porte monumentale percée
d’un arc en plein cintre et, plus haut dans
l’élévation, d’un autre arc en ogive. C’est elle
que l’on aperçoit dans le second tableau de
Dresde[3], placée sur une éminence, à l’arrière
d’un donjon. Les deux motifs architecturaux
que présente le dessin de Grenoble se trouvent
en outre assemblés par le peintre dans un
tableau passé en vente à La Haye en 1949
(signé et daté en bas à droite : "A.E. N. fec. 1680", localisation actuelle inconnue)[4]. Pierre Gustot, lorsqu’il rédigea
son catalogue, n’avait pas connaissance de la
feuille conservée à Grenoble. Or les correspondances
entre le dessin et le tableau sont nombreuses
: les deux ruines y sont agencées selon
une disposition très similaire et le tableau présente
lui aussi un pont donnant accès aux vestiges
du château. Notre feuille a donc pu servir
à Neyts pour la réalisation de sa toile. S’il
existe très peu de dessins de sa main qui sont
préparatoires à des compositions entières, l’artiste
utilise souvent ses feuilles d’étude pour en
tirer, comme ici, des motifs isolés et les intégrer
dans ses tableaux[5].
À l’instar de la seconde feuille de l’artiste présentée
dans l’exposition (MG D 719), ce dessin
est à placer à la fin de la carrière de Neyts[6]. Les
tableaux qui reprennent les motifs de la tour
et de la porte médiévale sont datés entre 1679
et 1681 et indiqueraient donc que la feuille
a été produite à la fin des années 1670. Il est
vrai que l’artiste utilise parfois ses études à
plusieurs années d’intervalle, cependant le style de la feuille grenobloise est incontestablement
tardif. Deux paysages conservés à
Windsor Castle présentent de nombreuses
similitudes avec notre dessin (Inv. 6609) : la
forme des arbres en petites « boules » dans les
lointains, les ombres sur l’architecture exécutées
à grands traits de lavis obliques, la plume
fine et enlevée qui indique des branches en
faisceaux un peu désordonnés (au premier
plan à droite et à l’extrême gauche de la porte
dans le dessin de Grenoble), le lavis gris appliqué
en petites touches pour les feuillages du
plan médian, puis très accentué et plus foncé
au premier plan. Contrairement aux dessins
de Windsor, notre feuille ne présente pas
de personnages (ce qui est rare chez Neyts),
mais c’est là encore un trait de certains de
ses dessins tardifs, comme ceux d’Ottawa ou
du Rijksmuseum à Amsterdam[7]. Ce dernier,
comme la feuille de Grenoble, est de grandes
dimensions et signé de la façon caractéristique
de la fin de la carrière de Neyts[8]. S’il présente
un maniement de la plume plus libre encore,
on y trouve une même façon d’appliquer les
lavis gris que dans notre dessin.
[1] Gillis Neyts, Paysage avec ruine, huile sur toile, 130 x 199 cm, signé et daté en bas au milieu : Æ. Neyts. F 1681, Dresde, Staatliche Kunstsammlungen, Inv. 1152 ; Gustot, 2008, n°P54.
[2] Ce motif de tour circulaire est présent dans pas moins de trois autres tableaux signés par Gillis Neyts (voir Gustot, 2008, p. 275) : dans celui passé en vente en 1949 mentionné infra et notamment dans une toile de dimensions un peu plus modestes, datée de 1679, conservée au musée national de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg (n°P52).
[3] Gillis Neyts, Paysage boisé et montagneux, huile sur toile, 118 x 191 cm, signé en bas à droite : g. neyts. F., Dresde, Staatliche Kunstsammlungen, Inv. 1153 ; Gustot, 2008, n°P55.
[4] Gustot, 2008, n°P53 ; le tableau est passé en vente à La Haye (Van Marle en Bignell), collection de Mme H. R. van Houten et al., 21-22 décembre 1949, lot 66 (comme Aernout van der Neer). Pour ces motifs récurrents dans l’oeuvre de Neyts, voir ibid., p. 44-45, 275-276.
[5] Pour les dessins préparatoires de Neyts, voir Gustot, 2008, p. 116-118.
[6] Pierre Gustot propose de diviser l’oeuvre de Gillis Neyts en quatre groupes tandis que Stijn Alsteens en distingue trois. Quoi qu’il en soit, notre feuille appartient, dans un cas comme dans l’autre, au dernier des groupes (voir Gustot, 2008, p. 112-113 et Alsteens dans Alsteens et Buijs, 2008, p. 257).
[7] Paysage de montagne à la tour en ruines, plume et encre brune, lavis brun, 19,7 x 31 cm, monogrammé en bas, au milieu : Æ.n.f., Ottawa, musée des beaux-arts du Canada, promesse de don, voir Spicer, 2004, n°68 ; Rochers au bord d’une rivière dans un paysage montagneux, plume et encre brune, lavis gris, 20 x 31,3 cm, signé en bas, à gauche : Æ.neyts. f., Amsterdam, Rijksprentenkabinet, Rijksmuseum, Inv. RP-T-1919-26.
[8] Voir Gustot, 2008, p. 114.
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