Paysage avec pont et château

Gillis NEYTS
8ème décade XVIIe siècle
Plume encre brune, lavis d'encre grise sur papier vergé crème
20,5 x 31,6 cm
Crédit photographique :
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix
Acquisition :
Legs de M. Léonce Mesnard en 1890, entré au musée en 1902 (lot 3548, n°1828).

Voir sur navigart

Cette feuille est entrée dans la collection de Grenoble avec une attribution à Jan Hackaert (pour un dessin de cet artiste, voir MG D 1716), en raison de la signature apocryphe appliquée au bas du dessin. L’écriture de ce paysage est toutefois assez éloignée des oeuvres de cet artiste et l’on peut au contraire y reconnaître des motifs et une technique caractéristiques du dessinateur flamand Gillis Neyts.
Les deux constructions à gauche qui dominent la composition de la feuille se trouvent dans plusieurs tableaux signés de Neyts. Dans les Staatliche Kunstsammlungen de Dresde sont conservées deux huiles sur toile reprenant chacune l’un des motifs architecturaux du dessin. Dans le grand Paysage avec ruine[1], le peintre a placé le bâtiment circulaire (une ancienne tour de rempart ?) de façon proéminente devant un rideau de verdure[2]. La composition grenobloise présente cette même tour surplombée par une autre ruine, porte monumentale percée d’un arc en plein cintre et, plus haut dans l’élévation, d’un autre arc en ogive. C’est elle que l’on aperçoit dans le second tableau de Dresde[3], placée sur une éminence, à l’arrière d’un donjon. Les deux motifs architecturaux que présente le dessin de Grenoble se trouvent en outre assemblés par le peintre dans un tableau passé en vente à La Haye en 1949 (signé et daté en bas à droite : "A.E. N. fec. 1680", localisation actuelle inconnue)[4]. Pierre Gustot, lorsqu’il rédigea son catalogue, n’avait pas connaissance de la feuille conservée à Grenoble. Or les correspondances entre le dessin et le tableau sont nombreuses : les deux ruines y sont agencées selon une disposition très similaire et le tableau présente lui aussi un pont donnant accès aux vestiges du château. Notre feuille a donc pu servir à Neyts pour la réalisation de sa toile. S’il existe très peu de dessins de sa main qui sont préparatoires à des compositions entières, l’artiste utilise souvent ses feuilles d’étude pour en tirer, comme ici, des motifs isolés et les intégrer dans ses tableaux[5].
À l’instar de la seconde feuille de l’artiste présentée dans l’exposition (MG D 719), ce dessin est à placer à la fin de la carrière de Neyts[6]. Les tableaux qui reprennent les motifs de la tour et de la porte médiévale sont datés entre 1679 et 1681 et indiqueraient donc que la feuille a été produite à la fin des années 1670. Il est vrai que l’artiste utilise parfois ses études à plusieurs années d’intervalle, cependant le style de la feuille grenobloise est incontestablement tardif. Deux paysages conservés à Windsor Castle présentent de nombreuses similitudes avec notre dessin (Inv. 6609) : la forme des arbres en petites « boules » dans les lointains, les ombres sur l’architecture exécutées à grands traits de lavis obliques, la plume fine et enlevée qui indique des branches en faisceaux un peu désordonnés (au premier plan à droite et à l’extrême gauche de la porte dans le dessin de Grenoble), le lavis gris appliqué en petites touches pour les feuillages du plan médian, puis très accentué et plus foncé au premier plan. Contrairement aux dessins de Windsor, notre feuille ne présente pas de personnages (ce qui est rare chez Neyts), mais c’est là encore un trait de certains de ses dessins tardifs, comme ceux d’Ottawa ou du Rijksmuseum à Amsterdam[7]. Ce dernier, comme la feuille de Grenoble, est de grandes dimensions et signé de la façon caractéristique de la fin de la carrière de Neyts[8]. S’il présente un maniement de la plume plus libre encore, on y trouve une même façon d’appliquer les lavis gris que dans notre dessin.


[1] Gillis Neyts, Paysage avec ruine, huile sur toile, 130 x 199 cm, signé et daté en bas au milieu : Æ. Neyts. F 1681, Dresde, Staatliche Kunstsammlungen, Inv. 1152 ; Gustot, 2008, n°P54.
[2] Ce motif de tour circulaire est présent dans pas moins de trois autres tableaux signés par Gillis Neyts (voir Gustot, 2008, p. 275) : dans celui passé en vente en 1949 mentionné infra et notamment dans une toile de dimensions un peu plus modestes, datée de 1679, conservée au musée national de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg (n°P52).
[3] Gillis Neyts, Paysage boisé et montagneux, huile sur toile, 118 x 191 cm, signé en bas à droite : g. neyts. F., Dresde, Staatliche Kunstsammlungen, Inv. 1153 ; Gustot, 2008, n°P55.
[4] Gustot, 2008, n°P53 ; le tableau est passé en vente à La Haye (Van Marle en Bignell), collection de Mme H. R. van Houten et al., 21-22 décembre 1949, lot 66 (comme Aernout van der Neer). Pour ces motifs récurrents dans l’oeuvre de Neyts, voir ibid., p. 44-45, 275-276.
[5] Pour les dessins préparatoires de Neyts, voir Gustot, 2008, p. 116-118.
[6] Pierre Gustot propose de diviser l’oeuvre de Gillis Neyts en quatre groupes tandis que Stijn Alsteens en distingue trois. Quoi qu’il en soit, notre feuille appartient, dans un cas comme dans l’autre, au dernier des groupes (voir Gustot, 2008, p. 112-113 et Alsteens dans Alsteens et Buijs, 2008, p. 257).
[7] Paysage de montagne à la tour en ruines, plume et encre brune, lavis brun, 19,7 x 31 cm, monogrammé en bas, au milieu : Æ.n.f., Ottawa, musée des beaux-arts du Canada, promesse de don, voir Spicer, 2004, n°68 ; Rochers au bord d’une rivière dans un paysage montagneux, plume et encre brune, lavis gris, 20 x 31,3 cm, signé en bas, à gauche : Æ.neyts. f., Amsterdam, Rijksprentenkabinet, Rijksmuseum, Inv. RP-T-1919-26.
[8] Voir Gustot, 2008, p. 114.

Découvrez également...