Cérès éplorée

Louis DESPLACES, Michel ANGUIER (d'après)
XVIIIe siècle
Pierre noire et rehauts de craie blanche, mise au carreau à la pierre noire sur papier vergé chamois
43 x 27,2 cm
Crédit photographique :
VILLE DE GRENOBLE / MUSÉE DE GRENOBLE-J.L. LACROIX
Acquisition :
Mode et date d'entrée inconnus (probablement collection L. Mesnard).
Localisation :
EXPOTEMPORAI - Salles d'expositions temporaires

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Le grand dessin présenté ici, d’une facture très finie, a justement été rapproché par Geneviève Bresc-Bautier d’une des figures sculptées de la série de divinités de l’Olympe conçues par Michel Anguier : « Monsieur Anguier fut occupé en 1652 aux modèles de six figures, chacune de 18 pouces qui ont été jetés en bronze et qui représentent un Jupiter foudroyant, une Junon jalouse, un Neptune agité, une Amphitrite tranquille, un Pluton mélancolique, un Mars qui quitte ses armes et une Cérès éplorée » (Guillet de Saint Georges, éd. 1854, p. 438). Cet ensemble, conçu par Anguier à la suite de son voyage à Rome (1641-1651), a connu un succès considérable dont témoignent les écrits et le nombre de tirages conservés aujourd’hui. Il a également une grande importance dans l’histoire de la sculpture française : par l’édition en petits bronzes de ces figures modelées en terre, Anguier marque un tournant dans la production des statuettes indépendantes dans ce type de matériau. En effet, si en Italie cette forme d’art était répandue depuis la Renaissance, en France elle demeurait encore rare . Enfin le souci de caractériser chaque divinité par un tempérament reflète de façon sensible les recherches et débats menés au sein de l’Académie royale autour de la représentation des passions et dont Charles Le Brun sera l’un des grands théoriciens.
C’est la figure dramatique de Cérès, la dernière des divinités citées par Guillet, que nous retrouvons dans le dessin de Grenoble. La déesse des moissons est figurée ici alors qu’elle recherche désespérément sa fille Proserpine enlevée par Pluton : « De ses deux mains, elle alluma comme torche des pins aux feu de l’Etna et les porta sans répit à travers les ténèbres glacés » (Ovide, Métamorphoses, V, 423-461). La pose, savante et dynamique, puise son modèle dans l’un des antiques les plus célèbres des collections royales : la Diane chasseresse dite Diane de Versailles (Paris, musée du Louvre). La main tendue de la déesse est contrebalancée à ses pieds par un dragon menaçant. Le point de vue choisi par le dessinateur atténue le dynamisme du mouvement mais permet de mettre en relief tous les attributs significatifs pour l’identification du sujet.
La qualité du dessin, le seul qui puisse être mis en relation avec cette série, a mené dans un premier temps les historiens de l’art à le considérer comme une œuvre autographe du sculpteur. C’est ainsi qu’il a été présenté et publié pour la première fois en 1993 lors d’une exposition regroupant un florilège de dessins du XVIIe des musées de région. Toutefois, les rapports trop étroits entre le dessin et la sculpture ont rapidement mené les spécialistes à s'interroger sur la nature et la destination du dessin. Bien trop achevée, et reproduisant avec une trop grande précision le bronze, l’œuvre ne peut-être considérée comme une simple étude. L’auteur de la feuille a certainement pu observer un modèle achevé de la statuette. Comme l’a très justement proposé Françoise de La Moureyre, le dessin prépare non la sculpture mais une estampe d’après cette dernière, réalisée au début du XVIIIe siècle par Louis Desplaces (1682-1739).
Connue pour ses estampes d’après des œuvres d’Antoine Coypel et le cycle des Chasses de Louis XV, Desplaces a également réalisé des série d’estampes d’après des sculptures de Van Cleves et d’Anguier. La reproduction de ces œuvres bien après la mort du sculpteur est significative du succès de la série au début du XVIIIe siècle où les petites sculptures connaissent une véritable mode. La gravure qui présente Cérès, montre la statue avec exactement le même point de vue que le dessin. La technique méticuleuse, la délicatesse et la précision du modelé, magnifiquement rendu avec des rehauts de craie blanche, plaident également en faveur d’un dessin de graveur. Ce changement d’attribution modifie non seulement la paternité du dessin mais également sa datation qui doit désormais être situé autour de 1700. La fermeté des contours et la monumentalité du rendu se retrouvent dans d’autres œuvres graphiques comme celles de Claude Simpol (MG D 2133 ) qui étaient peut-être elles aussi destinées à la gravure.

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