Un saint ressuscitant un jeune homme

Ce dessin est incontestablement marattesque.
Il est d’ailleurs tellement saturé de signes marattesques
qu’il a été attribué par certains connaisseurs
à Carlo Maratti lui-même. Cette proposition
d’attribution aurait pu être reprise,
consignée, voire entérinée.Mais deux éléments
nous ont amenés à l’écarter. Tout d’abord, il ne
semble pas qu’il y ait dans l’œuvre de ce peintre
une scène peinte, gravée et dessinée reprenant le
dispositif étudié. Cette constatation a eu pour
conséquence de mettre en doute une attribution
au peintre lui-même et de repousser cette
feuille dans les marges de son œuvre. Carlo
Maratti, on le sait, a formé de très nombreux
élèves qui l’ont assisté et qui ont peint durant
toute leur carrière à la manière de leur maître.
Pour certains artistes, tels Andrea Procaccini
(1671-1734), Giuseppe Bartolomeo Chiari
(1654-1727) et Niccolò Berrettoni (1637-1682),
cela pouvait confiner à une sorte de psittacisme
stylistique. Et tard dans le XVIIIe siècle, des
peintres continuent à faire du Maratti avant
qu’une autre esthétique ne triomphe. Si nous
avons cité ces trois noms, c’est que chacun
d’entre eux pourrait prétendre d’une certaine
manière à être érigé au rang d’auteur de ce
dessin. Tant dans les dessins connus de Chiari
que de Berrettoni (moins peut-être chez Andrea
Procaccini), on retrouve une façon de faire fort
similaire d’une feuille à l’autre, d’un signe
graphique à l’autre. Mais comme pour Maratti,
nous n’avons pas trouvé dans leur oeuvre peint,
gravé ou dessiné respectif, de compositions
reprenant la disposition figurée. Toutefois, si
l’on s’en tient à des critères simplement stylistiques,
le nom de Berrettoni est celui qui semble
le mieux convenir. Sur la plupart de ses études
de composition, on retrouve un même usage à
la fois souple et appuyé de la sanguine pour
définir les contours internes et externes de ses
figures. Pour prendre un exemple à portée de
main, il suffira de comparer cette feuille à celle
conservée dans le même musée (MG D 2201), préparatoire
à un tableau peint lors des cérémonies de
canonisation de saint Philippe Benizzi en 1671
(Rome, San Marcello al Corso), représentant le
Miracle de saint Philippe Benizzi enfant pour
s’en assurer. Ce marattisme de bon aloi diffère
très légèrement, presque imperceptiblement de
celui de Chiari qui, lui, semble plus fluide dans
ses lignes, plus soyeux dans l’expression
générale des figures. Ces différences, aussi
ténues et aussi peu descriptibles soient-elles,
fondent notre proposition d’attribution mais
sont à prendre avec précaution car les dessinateurs
savent user de manières de faire différentes
suivant les étapes préparatoires ou/et les
sujets à étudier.
C’est sûrement à partir de là que nous aurions
dû commencer : identifier la scène représentée.
Le saint représenté est un saint thaumaturge : il
est en train d’accomplir un miracle. Le corps
d’un jeune homme vient d’être exhumé. Il
ressuscite grâce au pouvoir surnaturel du saint.
Les vêtements liturgiques qu’il porte désignent
un religieux de l’ordre des Jésuites, des Théatins
ou des Oratoriens, en tout cas appartenant à un
ordre récent fondé durant la Contre-Réforme.
Peut-être pourrait-il s’agir de saint François
Xavier ressuscitant un jeune Indien du royaume
de Travancore qui venait d’être enterré. Il ne
peut en tout cas s’agir de saint François de
Paule, ressuscitant un jeune homme qui venait
d’être enseveli sous des décombres, même si
dans une fresque de Chiari peinte pour l’église
éponyme de Rome entre 1726 et 1727, on
retrouve une disposition similaire, tout simplement
parce que ce saint est vêtu d’un habit
monastique fort différent, constitué d’une
simple robe de bure.