Etude pour les figures d'Achille et d'Agamemnon
Ce dessin appartient à un dossier génétique riche
de treize études (toutes conservées au Kunstmuseum
de Düsseldorf) préparant une gravure et
par la suite un tableau de Gaulli. Gravure et
tableau représentent un épisode du chant I de
L’Iliade d’Homère : la dispute entre Achille et
Agamemnon. Les deux héros grecs sont sur le
point de se battre. Agamemnon a dégainé son
épée; il s’apprête à s’élancer vers Achille, lorsque
Minerve apparaît dans le ciel pour mettre un
terme au conflit. Seul Achille voit la déesse qui
l’enjoint à remettre son épée dans son fourreau.
Elle lui désigne l’objet de leur venue, la ville de
Troie, qui après neuf années de siège, résiste
encore. Par ce geste, la déesse appelle le héros à se
réconcilier avec Agamemnon pour reprendre le
seul combat digne d’intérêt.
La composition gravée orne un frontispice de
thèse portant une dédicace au pape Innocent
XII Pignatelli dont le portrait figure en
médaillon au-dessus du cartouche. Le lauréat
en est Camillo Gerolamo Pamphilj. Elle a été
réalisée par Robert van Audenaerde d’après une
invention de Gaulli et est datée de 1693. Le
tableau aujourd’hui conservé au Musée départemental
de l’Oise à Beauvais a été peint
par Gaulli peu après le tirage de la gravure,
vraisemblablement pour le même commanditaire,
peut-être à destination d’Innocent XII. En
raison de l’antériorité de la gravure, il est à
penser que l’ensemble des dessins (à l’exception
d’un seul en rapport avec un élément n’apparaissant
pas dans la gravure[1]) prépare l’invention
gravée. Une différence entre la gravure et le
tableau est à noter : Gaulli ne reprend pas dans
la peinture le procédé de l’insertion de l’historia
sur une tapisserie feinte. Il est vrai que tout
l’appareil iconologique et symbolique
encadrant la composition et supportant en
partie la tapisserie est uniquement propre au
genre du frontispice de thèse. Il n’était donc pas
nécessaire de réutiliser ce procédé. Le dessin de Grenoble est préparatoire aux deux
figures principales de l’histoire. À dextre,
Achille, la tête tournée vers le ciel : il vient de
voir Minerve. À senestre, Agamemnon, tenant
un bâton faisant office de lance, la tête également
tournée vers le ciel. Les deux personnages
sont dessinés sur un sol fictif, feint par les
ombres portées de leurs jambes respectives.
Cette étude appartient à un stade intermédiaire
dans le processus de mise en place des idées. En
effet, dans les œuvres finales, la disposition des
deux figures est légèrement différente. Cela
concerne surtout celle de gauche dont la tête
n’est plus tournée vers Minerve mais vers
Achille ; la gestuelle est également modifiée : le
bras gauche, notamment, est vu en raccourci de
face. Un dessin d’ensemble entérine
provisoirement cette disposition[2]. Gaulli l’a
même insérée dans un cadre architecturé
feignant le frontispice. Il succède à un autre
dessin d’ensemble qui montrait une tout autre
ordonnance puisque Minerve apparaissait sur
la droite et non au centre, comme c’est le cas
dans la gravure[3]. Il est à se demander pourquoi
Gaulli n’a pas repris l’attitude d’Agamemnon.
L’explication est, semble-t-il, simple : montrer
le roi grec la tête tournée vers Minerve confine
à l’invraisemblance diégétique. Homère précise
bien que seul Achille put voir la déesse (avec
Nestor que l’on voit au centre de l’invention
finale). À la relecture d’Homère ou mieux,
lorsque Gaulli montra l’ordonnance à une
tierce personne (l’impétrant et commanditaire
très certainement), cette proposition de disposition
ne pouvait être conservée. D’où les
modifications qui s’ensuivirent, telles qu’elles
ont dû apparaître dans un ultime dessin
d’ensemble précédant la gravure. Mais celui-ci
n’est plus connu.
[1] Conservé à Düsseldorf, Kunstmuseum, inv.KA (FP) 10327.
[2] Conservé à Düsseldorf, Kunstmuseum, inv.KA (FP) 1922 recto.
[3] Düsseldorf, Kunstmuseum, inv. KA (FP) 10869.
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