Paysage des environs de Tanger

Cette feuille, dont les dimensions correspondent presque [1] aux feuillets d’un petit carnet de Delacroix contenant ses notes et dessins durant son premier séjour à Tanger entre le 26 janvier et le 3 mars [2], doit faire partie d’un autre carnet du Maroc, morcelé avant la vente après décès de l’artiste en 1864 [3] car il porte la marque apposée sur toutes les feuilles trouvées dans l’atelier. L’inscription qui figure en bas à droite : « 4 février/1er jour du », nous permet de situer avec certitude ce petit paysage près des remparts de Tanger, le premier jour du Ramadan, comme Delacroix le précise dans le carnet de Tanger (RF 39050) à la date du 4 février : « C’est le premier jour du Ramazan [sic]. Au moment du lever de la lune, le jour étant encore, ils ont tiré des coups de fusil. » Ce jour-là, et toujours dans ce même texte, Delacroix précise qu’il s’est rendu à l’extérieur de la ville : « En remontant la colline, magnifique vue des remparts et de la ville qui paraît toute blanche. Sur ces murs bruns de la ville – la mer au fond. » Il accompagne cette description d’un croquis à la plume et à l’encre, rehaussé d’aquarelle. Delacroix dessine à plusieurs reprises les alentours de la ville marocaine, comme dans le petit dessin conservé au Louvre – où l’on devine la silhouette des remparts de Tanger –, ne manquant jamais d’y faire figurer la végétation de cactus et d’aloès qu’il décrit dans ses notes. Le 29 janvier, il écrit : « Cactus et aloès énormes », puis plus loin, « divisions d’aloès ». Dans ses Souvenirs d’un voyage dans le Maroc, rédigés presque dix ans après son retour, Delacroix se souvient d’une fête, célébrant la fin du Ramadan et se déroulant hors de Tanger où il a l’occasion d’observer les soldats « exerçant leur monture au milieu des aloès et des cactus qui poussent partout à une très grande hauteur » [4]. La petite feuille de Grenoble donne à cette plante succulente, typique de la flore méditerranéenne, une place prépondérante dans la composition. Delacroix rehausse ses feuilles charnues et dentelées de teintes bleutées, réservant le vert à l’étendue de terre qui sépare ce bosquet des remparts que l’on devine au loin. Malgré son format restreint, ce dessin parvient à camper en quelques traits un paysage baigné d’une lumière puissante qui accentue les ombres et donne une profondeur à l’espace. L’artiste a réalisé un croquis rapide sur le motif au crayon graphite, ce que laisse supposer l’inscription « vert » ainsi que l’indication de date, recouvrant son motif d’aquarelle ultérieurement. Ces notations de couleurs sont très fréquentes dans les dessins réalisés durant ce voyage où Delacroix doit travailler vite au crayon et à la plume. Et si sa mémoire visuelle est excellente, elle a parfois besoin du soutien de ces quelques notations de teintes pour restituer dans des feuilles plus abouties la magie des impressions visuelles dont il est assailli chaque jour au cours de ce périple. « Je rapporterai sans doute des dessins, mais cela ne donnera pas la meilleure partie de l’impression que tout ceci procure », écrit-il avec regret, évoquant sa découverte de Tanger à son ami Frédéric Villot le 29 février [5].
[1] Cette feuille fait 9,7 x 14,8 cm, mais a dû être coupée au ras du dessin et devait donc être plus proche des 10 x 16,5 cm du carnet du Louvre (dans l’autre sens).
[2] Album à couverture cartonnée recouvert de papier vert, comprenant 56 feuillets, dont seulement les folios 2 à 25 (recto-verso) et 49 à 55 ont été utilisés, notes manuscrites à la plume, encre brune, ou à la mine de plomb, parsemées de croquis à la mine de plomb, chaque feuille : 16,5 x 10 cm, RF 39050.
[3] Sur les sept carnets de Delacroix du voyage en Orient vendus sous le no 663 de la vente après décès de 1864, seuls cinq sont aujourd’hui conservés : trois au Louvre (RF 1712 bis, RF 9154 et RF 39050), un au musée Condé à Chantilly (Ms 390) et le dernier est passé en vente en 1976 chez Pierre Bérès.
[4] Eugène Delacroix, Souvenirs d’un voyage dans le Maroc, Paris, éd. Laure Beaumont-Maillet, Barthélemy Jaubert et Sophie Join-Lambert, 1999, p. 115-117.
[5] Correspondance générale d’Eugène Delacroix, publiée par André Joubin, Paris, Plon, 1935, t. I, 1804-1837, p. 317.
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