Paysage marocain (Tanger)

En dehors des carnets que Delacroix noircit de dessins et de notes tout au long de son voyage[1], l’artiste réalise aussi des feuilles isolées, plus ambitieuses, au crayon graphite ou à l’encre brune, assez fréquemment relevées d’aquarelle. On n’en compte pas moins de deux cents dans les collections du département des Arts graphiques du musée du Louvre. Le musée de Grenoble, pour sa part, en possède neuf, montrant surtout des études de figures d’hommes arabes en costumes au Maroc et en Algérie (Visages et silhouettes marocains _ ; _Étude de costumes algériens _), mais aussi, ce qui est plus rare, trois paysages : deux représentant Tanger (celui-ci et _Fortin abandonné dans les environs de Tanger _) ainsi qu’une belle vue de Cadix . Cette feuille, tracée à la plume et à l’encre brune, est remarquable par sa conception en trois registres différents, imbriqués les uns dans les autres, qui combinent vue rapprochée et vue lointaine. En haut à gauche, la porte en arc outrepassé, ornée de motifs géométriques et vue en perspective, est identifiée par Maurice Arama comme une porte des remparts de Tanger, peut-être celle de la Casbah. Delacroix a fait un croquis rapide d’une porte identique, d’un léger trait de plume, à la page 17 du carnet dit « de Tanger », conservé au Louvre sous le numéro RF 39050. L’artiste accompagne son dessin du commentaire suivant : « Porte délabrée après la vue des remparts ». Le paysage de droite – une pente de rochers parsemée de cactus et d’aloès et descendant vers la rivière ou vers la mer, surmontée d’une ruine – est lui aussi caractéristique de la ville de Tanger. Delacroix décrit à de nombreuses reprises un site assez proche. Dans _Souvenirs d’un voyage dans le Maroc, il raconte : « Nous traversâmes, pour retourner, la petite rivière […] qui se perd dans la mer à peu de distance de certaines ruines qu’on appelle le vieux Tanger. […]. Elles sont placées au bord de la plage et près de l’extrémité de la baie terminée d’un côté par un promontoire avancé qui défend la rade et de l’autre par la ville de Tanger elle-même [2]. » En quelques mots comme en quelques traits de plume, l’artiste plante le décor qui se déploie sous ses yeux : « Vue ravissante en descendant le long des remparts. La mer ensuite, etc. Cactus et aloès énormes », note-t-il de manière laconique le 29 janvier, dans le carnet de Tanger (RF 39050). Un peu plus tard, le 4 février, il écrit : « En remontant la colline, magnifique vue des remparts et de la ville qui paraît toute blanche. […] Remarqué plus haut la porte de la ville. » Le dernier croquis, tout en bas, est une vue lointaine qui pourrait représenter le port de Tanger. Ce dessin, combinant plusieurs points de vue, est conçu comme un reportage avec plans lointains et plans rapprochés, tentant de fixer la mémoire du paysage au fur et à mesure que l’œil le découvre. Sans repentirs ni ratures, le trait de plume est précis sans être descriptif et montre à la fois la dextérité du dessinateur et sa très grande maîtrise technique du dessin à la plume.
[1] Sur les sept carnets de Delacroix du voyage en Orient vendus sous le n° 663 de la vente après décès de 1864, seuls cinq sont aujourd’hui conservés : trois au Louvre (RF 1712 bis, RF 9154 et RF 39050), un au musée Condé à Chantilly (Ms 390) et le dernier est passé en vente en 1976 chez Pierre Bérès.
[2] Eugène Delacroix, Souvenirs d’un voyage dans le Maroc, op. cit., p. 119.
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