Charrues démantelées

Le cabinet d’arts graphiques de Grenoble
conserve plusieurs dessins de Johann Heinrich
Roos parmi lesquels nous présentons les trois
oeuvres les plus importantes, une Charrue
démantelée, un Bélier (MG D 223) et une esquisse
de paysages (MG D 379).
Johann Heinrich fait partie d’une grande
famille de peintres spécialisés dans la représentation
de scènes champêtres montrant des
paysans, animées de chevaux, de vaches, de
moutons et de chèvres. On recense au moins
huit peintres issus de cette famille, actifs principalement
en Allemagne, en Hollande et en
Italie entre 1650 et 1800. De Johann Heinrich
Roos, célébré comme le « Raphaël des peintres
de bétail », on ne connaît d’ailleurs pas seulement
des paysages champêtres, mais également
quelques portraits.
Le biographe Joachim von Sandrart fait son
éloge dans son Academia[1] (1683), notamment
pour sa manière naturelle de traiter les paysages.
Il possède dans sa collection onze peintures
de sa main ainsi que cent quinze dessins.
Un peu plus tard, Arnold Houbraken ajoute
dans son Schilderboek des connaissances précieuses
sur la vie de Johann Heinrich, notamment
sur sa formation à Amsterdam et atteste
ainsi sa renommée en souhaitant lui donner
une digne place parmi les artistes néerlandais [2].
Il rappelle à juste titre à quel point l’étude de
l’art hollandais est décisive pour lui.
Au début du XIXe siècle, Goethe vante encore
le talent des Roos dans la représentation des
animaux (MG D 223). Le changement de goût leur sera fatal ainsi qu’à tous les peintres de genre
pastoral, leurs oeuvres idylliques étant jugées
mensongères, décoratives et insignifiantes. Le
mérite de leur réhabilitation dans l’histoire de
l’art revient surtout à Hermann Jedding qui
publie en 1955 et en 1998 deux livres fondamentaux
sur cette famille d’artistes. Léonce
Mesnard se distingue ici particulièrement par
le fait d’avoir su acquérir, à son époque, des
oeuvres d’artistes ignorés qui sont aujourd’hui
à nouveau fort recherchés.
Né dans le Palatinat, Johann Heinrich Roos
subit toutes les conséquences tragiques de la
guerre de Trente Ans. Sa famille, calviniste,
se réfugie à Amsterdam en 1640 et l’artiste se
forme auprès des peintres animaliers hollandais.
Ses maîtres sont Guilliam de Gardijn (vers
1597-après 1646 ; il ne faut pas confondre cet
artiste avec Carel du Jardin), Cornelis de Bie
et Barent Graat. Un voyage en Italie n’est pas
documenté. En tout cas, l’artiste vit dès 1653
à nouveau en Allemagne où il entre au service
de l’électeur du Palatinat. En 1667, ce peintre
et dessinateur infatigable préfère s’installer
avec sa famille à Francfort, ville commerciale
lui permettant de mieux vendre ses productions.
Il y meurt dans l’incendie de sa maison.
La Charrue démantelée date vraisemblablement,
selon l’écriture de la signature, des
années 1665-1670 alors que la Vache couchée,
elle aussi conservée à Grenoble (MG 1380-3) date
d’avant 1660[3]. La sûreté et la souplesse que
Roos obtient dans sa manière de représenter
paysans, bergers et bêtes à cornes, sont en effet
remarquables. Les fonds du Kupferstichkabinett
de Berlin[4] et du Nationalmuseum de
Stockholm[5] le documentent abondamment.
Le dessin de Grenoble fait partie d’un petit
groupe qu’on pourrait regrouper sous l’appellation
d’« instruments agraires ». Un bel
exemple, exécuté un peu plus tôt, est conservé
au Kupferstichkabinett de Berlin[6]. La monumentalité
des objets décrits ici, les effets soignés
de clair-obscur montrent que l’oeuvre a été
créée plus tardivement et que ses dessins intéressaient
les amateurs, vraisemblablement ceux
qui ne pouvaient pas acquérir ses peintures qui
se vendaient à des prix considérables.
[1] Partie II, livre III, p. 390 et suiv.
[2] Houbraken, 1719, II, p. 277-279.
[3] Voir Jedding, 1998, p. 119.
[4] Voir cat. exp. Berlin, 1986-1987.
[5] Voir Bjurström, 1972, nos 372 et 414.
[6] Kupferstichkabinett, Inv. no KdZ 6313, cat. exp. Berlin, 1986-1987, no 37a, repr.
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