Cavalier

Cet élégant cavalier est entré dans la collection
du musée de Grenoble avec des propositions
d’attribution aux peintres Thomas de Keyser
ou « Palamèdes », patronyme qui pouvait renvoyer
à l’un des deux frères Anthonie Palamedesz.
ou Palamedes Palamedesz[2].
Le grand portraitiste Thomas de Keyser a
certes peint quelques figures équestres, mais
on sait aujourd’hui que très peu de dessins
peuvent lui être attribués[3]. Les frères Palamedesz.
étaient quant à eux de meilleurs candidats
pour la paternité de notre feuille, mais
leurs dessins présentent des caractéristiques
stylistiques fort différentes.
La proposition d’attribution à l’un des Palamedesz.
reposait sans doute sur une inscription
ancienne, portée au verso de la feuille et
datant probablement du XVIIIe siècle. Le collectionneur
n’a semble-t-il pas prêté attention
à une autre annotation plus ancienne, à
la sanguine, qui figure également au verso et
remonte incontestablement au XVIIe siècle.
Celle-ci donne le nom de l’artiste Jan Martszen
mais dans une écriture et suivant une orthographe
plus difficiles à déchiffrer.
C’est très certainement sa main qu’il faut
reconnaître dans la feuille grenobloise. Peintre
de batailles mais aussi dessinateur et aquafortiste,
Jan Martszen le Jeune a réalisé des figures
isolées de militaires dans ses tableaux, ainsi
que nous l’apprend Bredius[4]. Dans ses neuf
eaux-fortes représentant « différents sujets
de batailles »[5], l’artiste place presque invariablement
au premier plan un soldat à cheval,
de profil, comme dans la feuille grenobloise.
Plusieurs dessins de sa main représentent
également un unique cavalier. C’est le cas du
Chevalier cuirassé que conserve le Rijksmuseum
à Amsterdam (Rijksprentenkabinet, Inv. RP-T-1889-A-2197). Les formes de
la monture et de son cavalier ont été tracées
d’une main assurée à la plume et s’opposent
aux contours plus fondus, réalisés à la pierre
noire puis à la pointe du pinceau, que l’on
trouve dans le dessin présenté ici. Toutefois,
dans la feuille d’Amsterdam, Martszen s’est
inspiré d’une oeuvre d’un de ses illustres
prédécesseurs : pour la monture, il a en effet
librement repris Le Grand Cheval, une gravure
d’Albrecht Dürer[6] présentant la bête dans la même position de trois quarts dos, accompagnée
d’un chevalier en armure qui marche à
ses côtés, partiellement caché derrière le corps
massif de l’animal. Si les contours des figures
dans les dessins de Grenoble et d’Amsterdam
sont abordés de façon différente, les touches
appliquées au pinceau, notamment dans le
costume et la cuirasse, présentent en revanche
bien des similitudes.
Le Cavalier conservé dans la collection Frits
Lugt est une feuille certaine de la main de
Martszen, portant sa signature caractéristique[7]
(Cavalier accompagné de son serviteur et
de deux chiens, pierre noire, 20,5 x 32 cm,
signé et daté en b. à g. : « JM [entrelacés].
D. Jonge 1639 », Inv. no 4481). Datée de 1639, elle est réalisée
alors que l’artiste est déjà bien avancé dans
sa carrière. On y perçoit néanmoins encore
– dans la souplesse du tracé et le choix de la
seule pierre noire – l’influence d’Esaias van de
Velde, oncle de Martszen, qui est aussi probablement
son maître[8]. La technique employée
diffère de celle que l’on trouve dans la feuille
grenobloise, où la pierre noire n’a servi qu’à
l’esquisse sous-jacente – bien visible dans la
jambe avant droite du cheval qui n’a pas été
reprise à l’encre. On reconnaît cependant dans
les deux feuilles une même façon d’exécuter
les ombres en courtes hachures parallèles sur
la robe des montures, une même assurance et
économie du tracé pour les physionomies des
personnages comme des chevaux.
[1] La documentation du musée contient une fiche établie en 1992 qui note que la provenance Guichardot était inscrite sur un feuillet intermédiaire (peut-être dans le doublage ancien du dessin). Nous n’avons pu trouver le dessin parmi les feuilles vendues isolément (nos 1-423) ; la feuille de Grenoble devait donc se trouver parmi les « dessins en lots » p. 53-77, nos 424-686bis.
[2] La partie inférieure de la feuille a hélas été coupée à un moment de son histoire privant ainsi la monture des extrémités de ses jambes.
[3] Seuls deux dessins peuvent lui être attribués avec certitude, voir Adams, 1995, p. 174-175, fig. 4 et 5.
[4] Bredius, 1915-1922, II, p. 545 et vol. IV, p. 1233.
[5] C’est ainsi qu’Eugène Dutuit a baptisé ces huit estampes (Dutuit, 1888, V, 1-8), auxquelles une supplémentaire a par la suite été ajoutée ; voir Hollstein, XI, 1-9.
[6] Hollstein German, 94.
[7] Cette façon de signer IMD.Jonge (le « I » dans le « M »), qu’il avait commencé d’utiliser lorsqu’il travaillait dans l’atelier de son père (pour distinguer ses oeuvres des siennes propres) aura pour conséquence que l’on a longtemps cru à l’existence d’un peintre du nom de « M. de Jong ».
[8] Martszen se forme certainement d’abord auprès de son père Jacobus Martens. Lorsque celui-ci quitte Haarlem pour s’installer à La Haye en 1626, Jan entre sans doute dans l’atelier de son oncle Esaias van de Velde. Voir la fiche biographique de Jan Martszen sur le site du RKD.