Scène de la comédie de l'étudiant Cornélius

Georg STRAUCH
XVIIe siècle
Plume encre noire, lavis gris, trait d'encadrement à la plume et à l'encre noire sur papier vergé crème
7,9 x 13,4 cm
Crédit photographique :
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix
Acquisition :
Legs de M. Léonce Mesnard en 1890, entré au musée en 1902 (lot 3548, n°1957)

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L’attribution de ce dessin, lors de son arrivée dans la collection du musée, au peintre hollandais Jan Steen n’étonne guère au vu du sujet représenté. Il semble au premier abord être ce que l’on a coutume d’appeler un « ménage à la Jan Steen » (huishouden van Jan Steen), en d’autres termes, un intérieur désordonné dans lequel une famille s’adonne, souvent joyeusement, à de vaines activités tandis que la maison va à vau-l’eau, tel qu’on le trouve à foison dans l’oeuvre de l’artiste néerlandais.
Les recherches entreprises sur le dessin de Grenoble ont toutefois permis de déterminer avec précision l’iconographie de la composition. Elle est tirée de la comédie Cornelius Relegatus écrite par Albert Wichgrev (vers 1575-1619) pour le jubilé de l’université de Rostock en 1600[1]. Cette satire latine du parcours d’un étudiant qui échoue lamentablement en s’adonnant à tous les plaisirs que peut offrir la vie universitaire, loin du foyer familial dont il dilapide l’argent, aura un succès tel qu’elle sera rééditée dès 1601-1602 puis traduite en allemand par Johannes Sommer dès 1605[2].
La comédie, qui brode manifestement sur le motif du fils prodigue[3], donne rapidement lieu à des séries d’estampes illustrant certains de ses épisodes. La première, réalisée par le graveur de Nuremberg Heinrich Ullrich, est publiée à Strasbourg en 1608 puis reprise et élargie par l’artiste et éditeur strasbourgeois Jacob van der Heyden (1573-1645) en 1618 dans son Speculum Cornelianum. Pugillus facetiarum iconographicarum[4]. Le graveur berlinois Peter Rollos donne en 1624 lui aussi une version de ces illustrations dans sa série de cinquante-huit estampes Vita Corneliana emblematibus[5].
Parmi les images qui illustrent l’histoire de Cornelius, celle qui eut incontestablement le plus de succès et que l’on trouve abondamment jusqu’au XVIIIe siècle, est l’épisode représenté dans la feuille de Grenoble et figurant, avec diverses variantes mais une iconographie inchangée, dans les séries gravées[6]. Cornelius assis sur une chaise dans sa chambre désordonnée, reçoit la jeune femme qui vient lui présenter un enfant, fruit de leur union illégitime. Bien des détails de l’estampe concordent avec ceux que l’on aperçoit dans le dessin. L’étudiant porte son bras en écharpe, après une blessure reçue lors d’une rixe ; dans la pièce, les rats courent, là aux pieds du malheureux étudiant, ici sur sa table ; éparpillés au sol, le jeu de trictrac, les cartes, les raquettes de jeu de paume, la cruche renversée, les instruments de musique sont autant de témoins des débordements qui ont mené Cornelius à sa perte. Le personnage traçant des lignes à la craie sur la porte de l’étudiant est envoyé par le recteur : il y inscrit sa citation devant le tribunal universitaire (dans certaines versions, on peut lire la phrase dominus citatur ad rectorem) qui aura pour conséquence son renvoi de l’université (sa relegatio)[7].
Cette iconographie d’outre-Rhin a confirmé l’intuition que le dessin était de la main d’un artiste allemand. Le répertoire des monogrammistes de Nagler a permis de s’orienter vers Georg Strauch[8] dont il s’est avéré que de nombreuses feuilles étaient signées avec le même monogramme à la forme caractéristique[9]. De plus, une feuille conservée au Metropolitan Museum à New York présente non seulement la même signature, mais encore une technique très similaire[10]. La série de onze dessins pour des Mois de l’année au Germanisches Nationalmuseum à Nuremberg permet de confirmer l’attribution à Georg Strauch[11].
On retrouve ainsi, dans L’Allégorie du mois de janvier, la même attention portée aux détails du poêle, des vitres comme des vêtements. C’est peut-être pour l’édition d’une nouvelle série de la vie de Cornelius que Strauch a créé le dessin aujourd’hui dans les collections grenobloises. Si Dieter Beaujean n’a pas encore rencontré d’estampe tirée de ce dessin – ni de ceux des Mois de Nuremberg –, il pense qu’il pourrait bien s’agir d’une feuille préparatoire pour une gravure[12]. Georg Strauch a en effet fourni tout au long de sa carrière de très nombreux dessins pour des estampes : pages de titre, portraits, illustrations de livres. Cet artiste de Nuremberg particulièrement versatile a travaillé avec les meilleurs graveurs allemands de son temps[13]. Mais sa célébrité repose surtout à l’époque sur sa maîtrise de la peinture sur verre et sur émail qui lui vaudra les éloges du biographe Joachim von Sandrart dans sa Teusche Akademie[14].
Le dessin de Grenoble ne présente pas de trace de transfert sur une planche de cuivre (ni incisions ni pierre noire au verso) ; en outre ses petites dimensions n’en font pas seulement un modèle possible pour une gravure mais aussi pour une plaque d’émail. On sait en effet que cet épisode de la vie de Cornelius a orné une médaille de l’université d’Altdorf[15] et a donc pu décorer un objet émaillé. Il n’est pas impossible, enfin, que le dessin n’ait eu aucune fonction préparatoire mais qu’il ait été produit par Strauch pour figurer dans l’album amicorum d’un étudiant.


[1] Rasche, 2009, p. 188.
[2] Cornelius relegatus. Eine newe lustig Comoedia..., Magdebourg, 1605. Pour les publications de la comédie, voir Rasche, 2009, p. 189, en particulier note 74.
[3] Rasche, op. cit., p. 189.
[4] Ibid., p. 188 et 190. Le Speculum Cornelianum combinerait en fait deux séries que Van der Heyden avait publiées en 1608 et 1617, voir Hollstein German, XIIIA, 186 et Veldman, 2006, p. 241.
[5] Hollstein German, XXXV, 96-153. On peut d’ailleurs noter que son fils Peter Rollos II édite lui aussi une série sur Cornelius : Philotheca Corneliana…, Berlin, vers 1680 ; Hollstein German, XXXV, 1-53.
[6] Rasche, op. cit., p. 190. La plupart des dessins présentant cette même scène se trouvent dans des Stammbücher (alba amicorum) d’étudiants allemands. Voir : Jacob von der Heyden, Alea, Alea, Venus virosa Vacuna, inventa [...] Cornelius in ich genant, allen studenten wollbekant, burin, planche 3 du Speculum Cornelianum…, Strasbourg, 1618, Bibliothèque nationale de France, cote 8-Z-15574 (1) – L2.40-A .
[7] Ibid., p. 195.
[8] Nagler, 1919, III, no 384, p. 120.
[9] Notamment deux portraits d’hommes inconnus, conservés à Nuremberg, au Germanisches Nationalmuseum, Graphische Sammlung, inv. Hz 4926, Kapsel-Nr. 570a et inv. Hz 5294, Kapsel-Nr. 570a.
[10] Plume et encre noire, lavis gris, 7 x 6,3 cm, Gift of Harry G. Friedman, 1964, Inv. no 64.682.388.
[11] Je tiens à remercier Dr Claudia Valter, conservatrice au Germanisches Nationalmuseum, de m’avoir envoyé des photos de ces dessins et fourni toutes les informations concernant leurs caractéristiques techniques et leur provenance. Voir par ex. : Georg Strauch, Allégorie du mois de janvier, plume et encre noire, lavis gris, 11 x 6,7 cm, Nuremberg, Germanisches Nationalmuseum, Graphische Sammlung, inv. no StN 14071, Kapsel 1534b.
[12] Communications écrites des 22 et 24 juillet 2013.
[13] Mahn, 1927, p. 46.
[14] Sandrart, 1675, II, livre 3, p. 373-374. Pour des objets décoratifs ornés de plaques d’émail peintes par Georg Strauch (notamment présentes dans des collections publiques françaises), voir Schiedlausky, 1965, p. 368-374.
[15] Rasche, op. cit., p. 192 pour la médaille et passim pour les Stammbücher.

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