Ferme au bord d'un canal
Ce paysage, attribué à Leupenius, montre bien
l’utilisation de la plume de roseau chez les
artistes hollandais, plus propre à suggérer les
formes qu’à les dessiner avec précision. L’application
du lavis permet une infinie variété de
tons. Ce constat est d’autant plus juste quand
on observe les dessins au roseau de Rembrandt
et de son cercle. Le dessin de Grenoble a été
probablement fait d’après nature et, vu son
format oblong, provient sans doute d’un carnet
où l’artiste a retenu ses observations lors
de promenades faites au long d’une rivière,
peut-être l’Amstel ou le Vecht. Autrefois, le
nom de Rembrandt comme inspirateur de ce
genre de feuille était uniquement évoqué, mais
Martin Royalton-Kisch, que nous remercions
ici, a souligné la proximité de cette oeuvre avec
les dessins de l’école de Jan Lievens[1]. Cette
feuille est entrée dans les collections de Grenoble
sous une attribution à Abraham Rutgers
que Marcel Roethlisberger a réfutée au profit
de Johannes Leupenius. Ces deux artistes, formés
dans l’entourage de Rembrandt, dessinent
les paysages d’une manière assez similaire. Ils
ont également étudié attentivement les dessins
de Jan Lievens.
On ne connaîtrait presque rien sur la vie de
Leupenius s’il ne nous avait pas laissé quelques
magnifiques paysages (et portraits) signés. Le
musée de Rotterdam conserve par exemple un
dessin intitulé Sloterweg près d’Amsterdam,
signé et daté de 1666[2]. C’est l’oeuvre qui se
rapproche le plus, stylistiquement, de la feuille
exposée ici, raison pour laquelle nous maintenons son attribution. On y trouve le même
souci de couvrir toute la surface du papier en
laissant peu de plages blanches.
Actif à Amsterdam comme géomètre et cartographe,
Johannes Leupenius se distingue par
son style vigoureux. Dans ses paysages, il se
sert des hachures parallèles pour construire
l’espace et indique souvent la lumière en laissant
des parties blanches, en réserve, comme
les troncs d’arbres ou les chemins. Leupenius
se forme chez Rembrandt, vraisemblablement
autour de 1660. La notion de « formation » est
difficile à interpréter dans le cas de l’atelier de
Rembrandt car certains élèves comme Flinck
y restent durant plusieurs années et vivent
dans la maison du maître tandis que de nombreux
fils de riches familles n’y prennent que
quelques cours. Leupenius se range probablement
dans cette dernière catégorie, conscient
que le maître vieillissant, vivant déjà retiré
sur la Rozengracht, est toujours l’un des meilleurs
pédagogues d’Amsterdam et un excellent
interprète du paysage. Ainsi, on comprend
qu’il trouve également le temps de se former
chez Jan Lievens, qui vit de façon permanente
à Amsterdam entre 1658 et 1674. Depuis ses
débuts à Leyde, celui-ci forme en effet de
nombreux élèves.
L’éclectisme résultant de ces différentes formations
se voit d’ailleurs aussi dans les portraits
dessinés de Leupenius. L’artiste se tourne
cette fois-ci vers une autre tradition, celle des
artistes de Haarlem comme Cornelis Visscher.
Rembrandt, avec ses portraits plus esquissésque dessinés, ne pouvait guère satisfaire un
artiste comme Leupenius, qui cherche avant
tout à faire des petits portraits précieux et finis.
Citons encore parmi les dessins de cet artiste
le Manoir près de Diemen avec un petit pont à
gauche, signé et daté de 1666, et la Maison des
navigateurs de Bergen près de l’Amstel[3]. Parmi
les dessins hollandais les plus importants du
musée de Lyon se trouve un dessin plus fini
que la présente feuille, Paysans auprès d’un
fleuve, signé et daté de 1669[4]. Leupenius grave
aussi une série d’eaux-fortes avec des monuments
situés sur les bords de l’Amstel ou du
Vecht[5].
[1] Schatborn, 2010, n° 125, repr.
[2] Cat. exp. Rotterdam, 1988, n° 98, repr.
[3] Fondation Custodia, inv. n° 4781 et 5095, voir Schatborn, 2010, n° 113-114, repr.
[4] Lyon, musée des beaux-arts, 1962-359, voir Sumowski, 1983, VII, n° 1564.
[5] Hollstein, 1949-, X, p. 45-55, n° 1-6.