Paysage rocheux avec un pont
Le musée de Grenoble conserve trois paysages
montagneux de la main de Roghman, exécutés
à la plume et à l’encre brune et rehaussés
de lavis gris. De nombreux cabinets possèdent
des dessins de ce genre, signés et mesurant
15 x 23 cm. Avec les vues de châteaux, c’est
le groupe le plus cohérent de son oeuvre. La
plupart de ses compositions sont exécutées à
la plume et au lavis ou à l’aquarelle, bien qu’il
arrive que la plume soit remplacée par la pierre
noire. Il s’agit de paysages rocheux parfois très
escarpés, où une végétation exposée aux intempéries
peine à s’enraciner dans le sol minéral.
Un des dessins de Grenoble en fournit un bel
exemple (Paysage rocheux avec arbres, MG D 697). L’accent est mis ici sur le
caractère sauvage et désert des lieux représentés.
La présence humaine est vaguement indiquée
: des voyageurs – parfois armés (Paysage rocheux, MG D 698)
– symbolisent l’humanité perdue et écrasée
par une nature grandiose. Jouant sur de forts
contrastes de clair-obscur, ces paysages, d’une
puissante monumentalité, se retrouvent dans
les peintures de l’artiste et dans ses eaux-fortes.
Toutes ces oeuvres doivent être regardées
comme des paysages imaginaires, empreints
d’une grande mélancolie.
Le dessin de Grenoble se divise en deux parties,
reliées par un pont en bois : à gauche,
un désert de pierres, animé par des jeux
d’ombres et de lumières contrastés ; à droite,
de l’autre côté du cours d’eau, une étendue
plus clémente où l’on distingue un alignement
d’arbres. L’artiste joue comme un musicien
baroque avec les mêmes éléments et parvient
à les recomposer avec une grande créativité,
en conservant toujours une certaine harmonie.
On est surpris par cette richesse d’invention
qui n’utilise que peu de motifs. On trouve une composition très similaire, mais inversée
par rapport au dessin de Grenoble, dans un
tableau conservé autrefois à la galerie Bruno
Meissner de Zurich[1].
Les motifs montagneux reflètent sans doute le
souvenir des Alpes, où Roghman séjourne au
milieu des années 1650, mais ce voyage n’est
pas facile à préciser. La présence de l’artiste
est en tout cas documentée dans une région
proche des Alpes en juin 1657. Grâce à une inscription
et une signature sur un dessin à Amsterdam,
on sait qu’il séjourne à Augsbourg[2].
Il y publie aussi une série d’eaux-fortes chez
Melchior Küsel, ce qui indique qu’il a établi des
liens dans cette ville. Un séjour de Roghman à
cette période dans la Confédération helvétique
n’est pas à exclure car la Fondation Custodia
conserve un dessin, signé de Roghman, s’inspirant
du fameux rocher creusé par l’armée
romaine de Pierre-Pertuis, près de Tavannes
dans le Jura suisse. Quant au cabinet d’art
graphique de Berlin, il possède un dessin de
l’église vénitienne de San Giacomo di Rialto,
attribué à Roghman, signe peut-être que le but
de ce voyage dans la région des Alpes, source
d’inspiration de nombre de ses dessins, est en
réalité l’Italie[3].
Une datation des feuilles dans les années 1660
est possible mais pas certaine. On ne connaît de
Roghman que trois dessins montagneux datés,
l’un de 1654, les deux autres de 1655, exécutés
dans un style plus pittoresque et précis[4]. Il est
probable que l’artiste en a dessiné d’autres à
une date plus tardive, car Houbraken raconte
que Roghman conserve l’amour de l’art jusque
dans ses vieux jours et a coutume de dire que
« si une fois on a l’expérience de quelque chose
on n’est plus capable de s’en servir »[5]. Le style de ces dessins de Roghman doit beaucoup
à Rembrandt et à son école, en particulier
aux oeuvres de Gerbrandt van den Eeckhout
qui, selon Houbraken, était son ami. Ce sont
surtout les effets de clair-obscur, la spontanéité
et la rapidité de la plume qui rappellent l’art de
Rembrandt. Parfois, Roghman rehausse ses dessins
de blanc pour en accentuer davantage les
contrastes. De nombreux autres artistes ayant
exécuté des scènes montagneuses existent dans
l’art hollandais comme Allaert van Everdingen
(MG D 679), Frederik de Moucheron
ou encore Jan Hackaert, célèbre pour ses vues
suisses (MG D 1716). Roghman connaît
les dessins précis et détaillés de son grand-oncle
Roelandt Savery. Ce dernier s’est en effet inspiré
des paysages alpins et des forêts de Bohême
durant son séjour chez les Habsbourg à Vienne
et à Prague au début du xviie siècle. Pourtant, la
similitude entre Roghman et Savery n’est que
thématique et non stylistique. Roghman connaît sans doute aussi les gravures
montagneuses fantasmagoriques d’Hercule
Seghers, le fameux représentant de toute une
lignée d’artistes hollandais, adeptes du paysage
imaginaire. Il est fascinant de comparer
le dessin de Grenoble avec une autre partie
de l’oeuvre dessiné de Roghman, représentant
deux cent quarante-sept châteaux hollandais
exécutés dans un style précis et détaillé entre
1646 et 1649, style qui n’a rien à voir avec les
feuilles présentées ici[6]. La comparaison avec les
dessins montagneux montre une fois de plus la
grande variété et richesse dans la production
d’un seul et même artiste du Siècle d’or.
[1] Voir cat. exp. Amsterdam, Boston, Philadelphie, 1987-1988, n°79, repr. pl. 85.
[2] Voir Kloek et Niemeijer, 1990, II, p. 2 et p. 4 fig. 8-9.
[3] Voir pour Pierre-Pertuis, Schatborn, 2010, I, n° 155, et pour Venise, Kloek et Niemeijer, 1990, II, p. 2 et p. 3, fig. 7.
[4] Voir Kloek et Niemeijer, 1990, II, p. 29-33, fig. 41, 44 et 50.
[5] « Als men de dingen komt te weten, is men verfletes », voir Houbraken, I, p. 173.
[6] Voir Van der Wyck et Niemeijer, 1990, I.
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