Narcisse se mirant dans l'eau

Willem VAN MIERIS
1699
Plume et encre noire, lavis d'encre grise, trait d'encadrement à la plume et à l'encre noire (coupé en partie supérieure) sur papier vergé crème
11,2 x 13,1 cm
Crédit photographique :
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix
Acquisition :
Mode et date d'entrée inconnus, probablement collection L. Mesnard

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La famille Van Mieris figure parmi les plus importantes dynasties d’artistes de la ville de Leyde aux XVIIe et XVIIIe siècles. Frans van Mieris, élève de Gérard Dou, est avec son maître le fondateur de la fijnschilderei[1] à Leyde, une « école » qui se distingue avant tout par des scènes de genre, mais parfois aussi des peintures d’histoire et des portraits, d’une touche précise et méticuleuse. Le processus de création de ces oeuvres est très long, de sorte que les artistes de cette école en demandent des prix très élevés. Cette manière si particulière de travailler est célèbre et recherchée dans toute l’Europe, et l’école de Leyde reste active jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, notamment grâce aux descendants de Frans van Mieris, son fils Willem et son petit-fils Frans II.
Formé par son père, Willem van Mieris entre en 1683 dans la guilde de Saint-Luc de Leyde qu’il dirige à plusieurs reprises les années suivantes. En 1694, il fonde dans cette ville une académie de dessins avec Carel de Moor et Jacob van Toorenvliet. Les oeuvres de Mieris atteignent des prix élevés et, parmi les principaux mécènes de l’artiste, figurent les grands industriels leydois du textile comme Pieter de la Court van der Voort.
À l’époque de Léonce Mesnard et jusque dans les années 1960, l’école de Leyde est considérée comme artificielle et pédante, et le collectionneur a pu vraisemblablement acquérir la feuille de Willem pour un prix dérisoire. Hofstede de Groot, dans son catalogue raisonné de l’oeuvre de Willem van Mieris en 1928, exprime d’ailleurs dans son introduction tout le mépris qu’il a pour cet artiste « décadent ».
Le Narcisse de Grenoble de Willem van Mieris est une oeuvre d’art à part entière et démontre bien que la fijnschilderei (traduction) ne se limite pas à la peinture mais s’applique aussi au dessin. Si les dessins finis de Gérard Dou sont très rares, ils sont en revanche plus répandus chez Frans van Mieris.
Parchemin ou papier vergé très fin, encre grise posée à la plume et au pinceau, voici les principaux moyens techniques utilisés par l’artiste pour atteindre la précision de détails et le modelé si raffiné qui caractérisent ses dessins finis et dont la préciosité n’a rien à envier à ses nombreuses peintures. Le Jugement de Pâris de 1693, conservé au cabinet des Dessins de l’université de Leyde[2], en est un autre bel exemple. Mieris utilise parfois la pierre noire sur parchemin pour obtenir des dessins finis analogues à ceux exécutés à l’encre et rehaussés de lavis et de gouache blanche[3]. On peut certainement considérer ces oeuvres délicates comme un prolongement de l’art de la miniature, qui a connu à la fin du Moyen Âge des heures de gloire dans les Pays-Bas, avant de disparaître au XVIe siècle au profit de l’imprimerie.
Willem van Mieris est aussi auteur de dessins préparatoires et de ricordi. On connaît de sa main des études de têtes et de mains ainsi qu’un certain nombre de dessins d’après ses peintures et d’après des sculptures flamandes. Il excelle dans les peintures de genre – souvent réduites à un ou deux personnages – mais préfère dans ses dessins finis les sujets mythologiques et littéraires, souvent à connotation érotique comme dans le dessin de Grenoble qui met en scène un beau jeune homme qui n’aime que lui-même[4].
Narcisse se montre en effet insensible à l’amour de la nymphe Écho, qui disparaît désespérée dans la nature sauvage et dont seule la voix perdure. Éperdument amoureux de lui-même, il meurt de langueur en contemplant le reflet de son visage dans le miroir de l’eau, avant d’être métamorphosé en la belle fleur blanche qui porte son nom. L’épisode choisi par Willem van Mieris est celui, rapporté par Ovide, où Narcisse essaye en vain de saisir son reflet.


[1] La peinture fine de Leyde.
[2] Leyde, Inv. PK 6915
[3] Pour un dessin à l’encre et la gouache blanche, citons Énée fuyant Troie, Francfort, Städelshes Kunstinstitut, Inv. 3239.
[4] Ovide, Métamorphoses, III, 339-510.

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