Narcisse se mirant dans l'eau

La famille Van Mieris figure parmi les plus
importantes dynasties d’artistes de la ville de
Leyde aux XVIIe et XVIIIe siècles. Frans van Mieris,
élève de Gérard Dou, est avec son maître
le fondateur de la fijnschilderei[1] à Leyde, une
« école » qui se distingue avant tout par des
scènes de genre, mais parfois aussi des peintures
d’histoire et des portraits, d’une touche
précise et méticuleuse. Le processus de création
de ces oeuvres est très long, de sorte que
les artistes de cette école en demandent des
prix très élevés. Cette manière si particulière
de travailler est célèbre et recherchée dans
toute l’Europe, et l’école de Leyde reste active
jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, notamment
grâce aux descendants de Frans van Mieris,
son fils Willem et son petit-fils Frans II.
Formé par son père, Willem van Mieris entre
en 1683 dans la guilde de Saint-Luc de Leyde
qu’il dirige à plusieurs reprises les années suivantes.
En 1694, il fonde dans cette ville une
académie de dessins avec Carel de Moor et
Jacob van Toorenvliet. Les oeuvres de Mieris
atteignent des prix élevés et, parmi les principaux
mécènes de l’artiste, figurent les grands
industriels leydois du textile comme Pieter de
la Court van der Voort.
À l’époque de Léonce Mesnard et jusque dans
les années 1960, l’école de Leyde est considérée
comme artificielle et pédante, et le collectionneur
a pu vraisemblablement acquérir la feuille
de Willem pour un prix dérisoire. Hofstede de
Groot, dans son catalogue raisonné de l’oeuvre
de Willem van Mieris en 1928, exprime d’ailleurs
dans son introduction tout le mépris
qu’il a pour cet artiste « décadent ».
Le Narcisse de Grenoble de Willem van Mieris
est une oeuvre d’art à part entière et démontre
bien que la fijnschilderei (traduction) ne se
limite pas à la peinture mais s’applique aussi
au dessin. Si les dessins finis de Gérard Dou
sont très rares, ils sont en revanche plus répandus
chez Frans van Mieris.
Parchemin ou papier vergé très fin, encre grise
posée à la plume et au pinceau, voici les principaux moyens techniques utilisés par l’artiste
pour atteindre la précision de détails et le
modelé si raffiné qui caractérisent ses dessins
finis et dont la préciosité n’a rien à envier à ses
nombreuses peintures. Le Jugement de Pâris de
1693, conservé au cabinet des Dessins de l’université
de Leyde[2], en est un autre bel exemple.
Mieris utilise parfois la pierre noire sur parchemin
pour obtenir des dessins finis analogues
à ceux exécutés à l’encre et rehaussés de
lavis et de gouache blanche[3]. On peut certainement
considérer ces oeuvres délicates comme
un prolongement de l’art de la miniature, qui
a connu à la fin du Moyen Âge des heures de
gloire dans les Pays-Bas, avant de disparaître
au XVIe siècle au profit de l’imprimerie.
Willem van Mieris est aussi auteur de dessins
préparatoires et de ricordi. On connaît de sa
main des études de têtes et de mains ainsi
qu’un certain nombre de dessins d’après ses
peintures et d’après des sculptures flamandes.
Il excelle dans les peintures de genre – souvent
réduites à un ou deux personnages – mais
préfère dans ses dessins finis les sujets mythologiques
et littéraires, souvent à connotation
érotique comme dans le dessin de Grenoble
qui met en scène un beau jeune homme qui
n’aime que lui-même[4].
Narcisse se montre en effet insensible à l’amour
de la nymphe Écho, qui disparaît désespérée
dans la nature sauvage et dont seule la voix perdure.
Éperdument amoureux de lui-même, il
meurt de langueur en contemplant le reflet de
son visage dans le miroir de l’eau, avant d’être
métamorphosé en la belle fleur blanche qui
porte son nom. L’épisode choisi par Willem van
Mieris est celui, rapporté par Ovide, où Narcisse
essaye en vain de saisir son reflet.
[1] La peinture fine de Leyde.
[2] Leyde, Inv. PK 6915
[3] Pour un dessin à l’encre et la gouache blanche, citons Énée fuyant Troie, Francfort, Städelshes Kunstinstitut, Inv. 3239.
[4] Ovide, Métamorphoses, III, 339-510.
Découvrez également...
-
Faune portant un enfant (mutilé) sur l'épaule gauche
XVIIe siècle - XVIIIe siècle -
Marine
XVIIIe siècle -
Etudes d'après nature
3ème quart XIXe siècle