Jupiter et la chèvre d'Amalthée

Le peintre de Delft Leonaert Bramer est
l’un des artistes hollandais du Siècle d’or
qui produit le plus de dessins. On conserve
aujourd’hui encore près de mille trois cents
feuilles de sa main. Certains de ses biographes
– Cornelis de Bie en 1661 et Joachim von Sandrart
en 1675 – le désignent d’ailleurs comme
dessinateur plutôt que comme peintre. Les
feuilles de l’artiste entrent rapidement dans
des collections hollandaises, mais aussi allemandes
et françaises. Au XVIIIe siècle, on trouve
ainsi des oeuvres de Bramer dans des collections
aussi prestigieuses que celles de Jean de
Julienne, de Pierre-Jean Mariette ou de Pierre
Crozat. Les artistes français, au premier rang
desquels François Boucher et Jean-Honoré
Fragonard, collectionnent aussi ses dessins.
Avant tout peintre d’histoire, Bramer réside à
Rome entre 1616 et 1627, où il se fait surnommer
Leonardo delle Notti, et reçoit dans la Ville
éternelle beaucoup d’attention de la part des
amateurs d’art. Il y est en outre l’un des membres
fondateurs de la célèbre compagnie des peintres
nordiques de Rome appelés les Bentvueghels.
Après une rixe, qu’il a peut-être provoquée et
au cours de laquelle Claude Lorrain – tentant
de s’interposer – est blessé, Bramer quitte la
ville et rentre aux Pays-Bas. Il devient membre
de la guilde des peintres de Delft en 1629 et fait
une belle carrière, notamment au service du
stathouder Frederik Hendrik.
L’une des particularités de l’oeuvre de ce dessinateur
prolixe est la production de séries de
dessins représentant les différents épisodes
d’histoires bibliques, mythologiques ou littéraires.
Dans le catalogue de l’exposition consacrée
à Bramer à Delft en 1994, Michiel Plomb
publie une liste des différentes séries qui
avaient jusqu’alors pu être identifiées. Celle-ci
ne compte pas moins de quarante-deux
ensembles (certains pouvant comprendre
jusqu’à cent quarante feuilles) et l’on y trouve
les deux dessins de Grenoble respectivement
sous l’histoire de Théagène et Chariclée
(MG D 175)[1] et sous une suite de scènes mythologiques[2].
De cette dernière, six dessins ont pu
être identifiés sur un total qui a dû s’élever au
moins à soixante-huit feuilles, ainsi que l’indique
le numéro porté sur le dessin conservé Brunswick. Ils sont réalisés sur des papiers
blancs, bleus ou préparés en jaune, et l’oeuvre
grenobloise appartient à cette dernière catégorie
: la feuille a été colorée avec une préparation
ocre passée au pinceau ou à l’éponge sur
l’ensemble de la surface.
C’est là une singularité de l’art de Bramer car,
comme le souligne Michiel Plomp[3], ce type
de préparation jaune est fort rare dans l’art
hollandais de l’époque. Joseph Meder, dans
son ouvrage de référence sur l’art du dessin,
cite d’ailleurs l’artiste pour ses papiers lavés
de jaune et de vert[4]. Ces feuilles permettent
sans doute à Bramer d’apporter une agréable
variation dans les séries qu’il compose. Sa production
dessinée diffère en outre par une autre
particularité de la pratique alors commune, et
surtout répandue chez ses collègues italiens,
qu’il a pourtant longtemps côtoyés : très peu
de feuilles de l’artiste sont préparatoires à
d’autres oeuvres[5]. Ses dessins sont généralement
des produits finis, destinés au marché de
l’art ou à des commanditaires.
Le sujet que Bramer représente ici semble
bien être le jeune Jupiter, encore nourrisson,
grandissant sur le mont Ida, en Crète, auprès
de la nymphe Amalthée qui l’abreuve du lait
d’une chèvre (selon certaines sources antiques,
Amalthée est le nom de la chèvre elle-même)[6].
Si Bramer a renoncé aux satyres qui peuplent
généralement cette iconographie, il n’est pas le
seul, puisque Nicolas Poussin en fait de même
dans son tableau conservé à la Gemälde Galerie
de Berlin.
Le catalogue de Delft date notre dessin des
années 1655-1665, période d’intense production
de séries dessinées, caractérisées par un
trait enlevé, des compositions plus équilibrées,
une touche et des lavis plus adoucis que dans
ses oeuvres des années 1640[7].
[1] Delft, 1994, série n° 27, p. 316.
[2] Ibid., série n° 42, p. 318.
[3] Plomp dans ibid., p. 197.
[4] Meder, Ames, 1978, I, p. 35.
[5] Voir Plomp, dans Delft, 1994, p. 197.
[6] Le catalogue de Delft ne mentionne pourtant pas cette iconographie qui avait été publiée par Marcel Roethlisberger (Grenoble, 1977, n° 25), mais désigne la scène comme « deux femmes nourrissant un enfant dans un paysage ».
[7] Plomp, dans Delft, 1994, p. 197.
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