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Ecole hollandaise (anciennement attribué à), BLOEMAERT Adrien (anciennement attribué à), BLOEMAERT Abraham, Ecole hollandaise (anciennement attribué à, 1902), SANZIO Raffaello dit RAPHAËL (d'après)
Crédit photographique :
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix

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Le biographe Carel van Mander consacre, dans son fameux livre des peintres, le Schilder- boeck publié en 1603-1604, un chapitre à Abraham Bloemaert (fol. 298). Il le considère comme le plus important peintre actif à Utrecht avec Joachim Wttewael (1560-1638). Peintre d’histoire, de portrait, de paysage et de genre, Bloemaert commence à réaliser des compositions maniéristes et évolue dans les années 1610 vers une plus grande monumentalité, lisibilité et plasticité des formes, préparant ainsi les tendances classicisantes hollandaises du milieu du XVIIe siècle. Son grand mérite est d’avoir formé la future génération de peintres utrechtois. On compte parmi ses élèves les fameux peintres caravagesques d’Utrecht, comme Gerrit van Honthorst (MG D 231), Hendrick ter Brugghen ou encore Jan van Bijlert, ainsi que les peintres italianisants Cornelis van Poelenburgh, Jan Baptist Weenix ou Jan Both. De son côté, le noble Joachim Wttewael pratique essentiellement la peinture d’histoire, parallèlement à son commerce de lin et de filasse, s’investissant plus dans la vie publique d’Utrecht que dans la formation de jeunes artistes. Formé à Utrecht chez Anthonie Blocklandt, l’artiste passe dans sa jeunesse quelque temps en France, à Paris et à Fontainebleau, mais nous ignorons tout des oeuvres de cette période tout comme de celles de son séjour à Amsterdam en 1592.
Carel van Mander présente Bloemaert comme un artiste polyvalent et un fin observateur de la nature : « Certains amateurs ont de beaux paysages [de la main de Bloemaert] animés de subtiles et drôles de fermes avec des outils paysans, des arbres et des choses du terroir qui existent en grande variété et en grand nombre autour d’Utrecht. Comme il travaille beaucoup d’après nature, ses dessins exécutés à la plume et rehaussés d’aquarelles sont tout particulièrement réussis et il produit des effets inhabituels[1]. » Le dessin de Grenoble fait partie de ces études de ferme, exécutées par Bloemaert dans les années 1590 et qui sont ses premières oeuvres connues aujourd’hui. L’artiste trace la ferme à la pierre noire et reprend ensuite à la plume les contours du bâtiment avant d’ajouter les rehauts d’aquarelle. Cette attribution a été confirmée par Jaap Bolten, auteur en 2007 du catalogue raisonné des dessins de l’artiste. Bolten compare à juste titre le dessin de Grenoble avec une Ferme délabrée, exécutée à la pierre noire et rehaussée d’aquarelle, conservée à Paris à la Fondation Custodia (Inv. 8808).
D’une grande variété aussi bien dans les motifs que dans les techniques, ces fermes se caractérisent par une certaine objectivité et une remarquable économie de moyens.
La guerre d’indépendance, menée par les provinces du nord des Pays-Bas, a considérablement dévasté les environs d’Utrecht. La ville s’est libérée du joug espagnol dès 1577 et les habitants ont détruit la fameuse « Vredenburg » (la forteresse de la paix), construite par Charles Quint et devenue le symbole du pouvoir des Habsbourg. C’est encore à Utrecht qu’est signé le 23 janvier 1579 le traité de paix déclarant l’indépendance des provinces des Pays-Bas du Nord. Tous ces évènements dramatiques montrent bien que Bloemaert a pu trouver sans problème un peu partout des ruines à dessiner sachant qu’il possède, à dix kilomètres d’Utrecht, une maison à la campagne où il habite en permanence depuis 1595.
Bolten considère tout particulièrement le « Berlin Album », comprenant de nombreuses vues de fermes des environs d’Utrecht, comme le premier témoignage artistique de Bloemaert exécuté à la fin des années 1580 ou au début des années 1590[2]. Une seconde version d’une des feuilles du « Berlin Album » est conservée dans une collection particulière[3]. La Ferme de Grenoble doit, pour des raisons stylistiques, dater de la même période mais le grand nombre de fermes réalisées par l’artiste montre que ce sujet a continué à l’intéresser dans les années 1590-1600, et il est donc difficile pour le moment de confirmer avec précision la date d’exécution de cette feuille. Abraham Bloemaert intègre parfois certaines de ses fermes dans ses tableaux d’histoire, par exemple dans Le Fils prodigue, Tobie et l’Ange, L’Expulsion de Hagar, La Fuite en Égypte, La Nativité, L’Enlèvement de Ganymède, Élie et la veuve ou encore L’Histoire de Latone. Bon nombre de ces peintures furent gravées par Boetius Adams Bolswert, lequel travaille un certain temps à Utrecht avant de s’installer à Anvers et de collaborer avec Rubens.
On constate que d’autres artistes néerlandais contemporains peignent à cette période des fermes délabrées et pittoresques, notamment à la cour de Prague comme l’Utrechtois Paulus van Vianen ou encore Roelandt Savery. Cela témoigne d’un véritable engouement, en cette fin du XVIe siècle, pour les études d’après nature ne dédaignant pas les motifs les plus modestes. Cette pratique a été reprise par Rembrandt et ses élèves, dessinant des vieilles fermes dans les environs d’Amsterdam, surtout dans les années 1640.
Paradoxalement, Bloemaert dessine dès la fin du XVIe siècle des figures élancées et élégantes, dans des positions compliquées et extatiques en forme de spirale, qui rappellent Bartholomeus Spranger. Bloemaert partage cette fascination pour les deux pôles extrêmes de la création artistique dans les Pays-Bas – observation d’après nature, invention la plus étrange – avec d’autres artistes de sa génération comme Hendrick Goltzius ou le Lorrain Jacques de Bellange. L’influence des oeuvres graphiques de Bloemaert sur l’art français est considérable. De Georges Lallemand jusqu’à la génération des peintres français nés vers 1700, comme François Boucher ou Pierre Subleyras, les artistes ont admiré et abondamment copié ses dessins et gravures de figures, de paysages et de fermes.
Le verso du dessin de Grenoble est une copie d’après une fresque de Raphaël, plus précisément la partie centrale d’un arc au-dessus de la chapelle Chigi de l’église Santa Maria della Pace à Rome. Cet arc est décoré de sibylles et d’anges et ce sont ces derniers qui ont attiré l’attention du dessinateur qui a ajouté un cartouche sous le putto central. Qui est l’artiste du verso ? Bolten observe à juste titre que l’oeuvre n’a rien à voir avec Bloemaert. S’agit-il d’un élève du maître ? Dans un article intéressant paru en 1997, Gero Seelig publie le verso de la Ferme délabrée de la Fondation Custodia, qui représente une vue du Colisée romain. L’auteur pense que le recto et le verso reviennent en fait à Hendrick Bloemaert, fils d’Abraham, qui a séjourné à Rome mais Bolten ne l’a pas suivi dans cette nouvelle attribution[4]. L’artiste semble avoir utilisé plutôt un dessin qu’une gravure d’après la fresque de Raphaël, une des oeuvres les plus louées dans les Vies de Vasari. En effet, selon Passavant, elle n’a été gravée pour la première fois dans son intégralité qu’en 1772 par Giovanni Volpato pour la Schola Italica picturae de Hamilton, parue un an plus tard[5].


[1] Traduction de l’auteur.
[2] Bolten, 1998, p. 17-25.
[3] Autrefois à l’Albertina à Vienne, aujourd’hui dans une collection particulière ; voir Bolten, 2007, I, sous no 1345, et II, fig. 1345a.
[4] Seelig, 1997, p. 386-388, fig. 7.
[5] Passavant, II, 1839, p. 171.

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