Tête d'Antillaise

Xavier Alexandre François SIGALON
1821
17,6 x 13,4 cm
Crédit photographique :
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix
Acquisition :
Don de Léonce Mesnard en 1888

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Si les critiques défenseurs du romantisme, comme Adolphe Thiers en 1824, reconnaissent en Xavier Sigalon un potentiel chef de file de la nouvelle école, apportant une rupture salutaire avec le néoclassicisme de David, il faut bien reconnaître que son échec au Salon de 1827 et son retrait à Nîmes mettent un frein brutal à son ascension. Emporté par le choléra à Rome en 1837, alors qu’il s’apprête à terminer la deuxième phase de la copie du Jugement dernier de Michel-Ange à la chapelle Sixtine[1], commandée par le gouvernement, Sigalon laisse derrière lui un corpus d’une quarantaine de peintures dont les plus remarquables, Locuste (Salon de 1824) et Athalie (Salon de 1827)[2] s’inspirent des vers de Racine. Il est aussi l’auteur de nombreux portraits qui l’aident à subsister dans les années qui précèdent son séjour à Rome. Cet artiste sans fortune et sans relations quitte Nîmes pour Paris à l’âge de vingt-neuf ans afin de parfaire sa formation. Il entre dans l’atelier de Pierre Narcisse Guérin mais c’est surtout dans la fréquentation du Louvre, auprès des grands maîtres de la Renaissance, qu’il trouve ses modèles. Ses dessins sont rares et, souvent réalisés aux deux crayons (pierre noire et sanguine), présentent de nombreuses similitudes avec les feuilles des artistes français et italiens du XVIIe siècle. Le dessin de Grenoble, réalisé dans cette technique, est directement préparatoire à la figure de l’Antillaise, au second plan du tableau La Jeune Courtisane qu’il présente au Salon de 1822. Les hachures croisées, qui entremêlent les tonalités de rouge et de noir, parviennent à évoquer les rayures colorées du madras, drapé sur le côté, qui atteste de la condition de servante de la jeune Antillaise. Quelques touches de rouge viennent souligner les lèvres et donner l’illusion de la carnation de la peau sur les joues, le menton et au coin des yeux. Cette manière de traiter les ombres n’est pas sans rappeler la technique de la gravure. On ne peut guère s’en étonner de la part d’un artiste dont la première formation s’est effectuée en copiant des gravures de Lesueur, Poussin et Raphaël à la bibliothèque de Nîmes[3]. Premier envoi de l’artiste au Salon sous le titre Sujet familier, La Jeune Courtisane est ainsi décrite dans le livret : « Une jeune Courtisane reçoit d’une main les cadeaux d’un homme entre deux âges, tandis que de l’autre elle prend un billet doux que lui glisse un amant[4].» Les critiques sont enthousiastes et voient dans cette œuvre « une réminiscence des maîtres, un motif gracieux mais de peu de portée, un compromis entre le Valentin et les peintres coquets de l’autre siècle »[5]. Le choix de faire figurer dans cette scène légère le portrait d’une servante noire est inhabituel, voire audacieux. La représentation des Noirs en peinture est rare à cette époque, à l’exception peut-être du Portrait de Jean-Baptiste Belley d’Anne-Louis Girodet-Trioson, présenté au Salon de 1798 et le Portrait d’une négresse de Marie-Guihelmine Benoist en 1800. Il faut souligner que l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises, proclamée par la Révolution en 1794 mais peu appliquée en raison de l’opposition des colons et de la guerre, ne sera véritablement effective qu’en 1848. Si la figure de servante noire est presque un archétype dans la peinture, placée très en retrait et dans l’ombre, elle prend dans le dessin les allures d’un portrait, à la fois précis et sensible, d’une étonnante profondeur psychologique.


[1] Cette commande importante, qui l’occupe à Rome près de quatre ans, est due à la générosité d’Adolphe Thiers, devenu ministre secrétaire d'État au département du Commerce et des Travaux publics et qui admire son talent. Cette copie est installée dans la chapelle de l’École nationale des beaux-arts à Paris.
[2] Locuste remettant à Narcisse le poison destiné à Britannicus, 1824, huile sur toile, Nîmes, musée des Beaux-Arts ; Athalie faisant égorger les enfants de sang royal, 1827, huile sur toile, Nantes, musée des Beaux-Arts.
[3] « Sigalon », in Le Magasin pittoresque, 1838, p. 205-208, cit. p. 206.
[4] Livret du Salon de 1822.
[5] Philippe Jeanron, « Sigalon et ses ouvrages », La Revue du Nord, 1837, n° 9, p. 2-15, cit. p. 9.

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