Vue d'un site montagneux

Alors que l’attribution de cette feuille à Breenbergh
ne fait pas de doute – le dessin ne l’a
jamais perdue –, le site rocheux représenté ici
demeure une énigme et il a fait couler beaucoup
d’encre ces dernières années. Hissé sur
un grand plateau, un village pittoresque puissamment
fortifié s’intègre harmonieusement
dans le paysage. Breenbergh se montre ici
sensible à l’ensemble du site et prête beaucoup
d’attention aux détails, notamment au grand
rocher à droite abritant une végétation discrète
et servant de repoussoir. Cette manière
de ne pas se focaliser sur le site principal et de
montrer un intérêt pour l’environnement est
caractéristique de Breenbergh et peut-être de
toute cette génération d’artistes hollandais et
flamands travaillant à Rome à cette époque.
Cette attitude les distingue de leurs prédécesseurs
néerlandais du XVIe siècle.
Malgré la petite taille du dessin, Breenbergh
arrive ici à rendre un impressionnant panorama
rocheux. Marcel Roethlisberger pense
que le dessin fait partie d’un carnet d’esquisses
démembré depuis longtemps dont
Breenbergh s’est servi vers 1625. Tous les dessins
découverts jusqu’alors portent en haut à
droite un petit numéro à la plume et représentent
des sites de Rome et de ses environs.
Depuis les années 1620, Breenbergh travaille
pour l’aristocratie romaine. C’est sans doute le
célèbre Paul Bril qui a facilité ce contact, mais
son propre talent a fait le reste. Il n’est pas exclu que de nombreuses esquisses, représentant
des villages et hameaux des environs de
Rome, soient des oeuvres ayant appartenu aux
grandes familles romaines désireuses d’avoir
des vues de leurs propriétés.
Breenbergh s’est intéressé à trois autres
reprises à ce site inconnu. Dans deux paysages
à l’huile, l’artiste reprend ce même motif
à l’arrière-plan. La première, une Pastorale,
conservée dans une collection privée, a été
commentée à plusieurs reprises ces dernières
années – sans pour autant que le dessin de Grenoble
y soit cité[1]. La seconde peinture, montrant
le même site à l’arrière-plan, le Christ et
la Samaritaine, se trouve à Johannesburg, en
Afrique du Sud[2]. Enfin, dans un beau dessin
à la plume et au lavis gris et brun, conservé à
Édimbourg[3], Breenbergh se concentre davantage
sur l’architecture que dans la feuille de
Grenoble. Les effets de clair-obscur très marqués,
le maniement élégant de la plume et la
silhouette des deux personnages du premier
plan invitent à se demander si cette composition
n’a pas été dessinée en atelier, reprenant
peut-être un modèle de Paul Bril. Il existe en
effet un dessin extrêmement proche – même
s’il est plus large – de cet artiste, représentant
le même site et daté de 1626 (Anvers, Museum Plantin-Moretus Prentenkabinet, Inv. n°92), année
de son décès à l’âge de soixante-douze ans.
Depauw mentionne dans ses deux articles de
nombreuses copies d’après cette oeuvre de Bril,
ce qui montre sa célébrité à l’époque. Ce site
est encore représenté par l’obscur dessinateur
Theodor Wilkens et par Jan Baptist Weenix[4].
L’ancien montage du dessin de Grenoble porte
une annotation, peut-être de la main de Léonce
Mesnard, proposant une identification pour
le lieu : Rocca di Lamentano. Cette inscription
a été mal lue par le passé et apparaît sous le
nom de Rocca di Laurentano, ce qui a provoqué
quelques erreurs de localisation. Lamentano
est le terme ancien désignant la ville de
Nomentum, ville italienne dans les montagnes
sabines, près d’Allia, mais il est difficile d’affirmer
qu’il s’agit du même site.
[1] Campbell, 1996, cat. exp. Londres 2002, n° 8 et cat. exp. La Haye 2006, n° 10.
[2] Johannesburg, Inv. D 853, voir Roethlisberger, 1969, n° 23.
[3] Anvers, Stedelijk Prentenkabinet, Inv. n° 92, voir Ruby, 1999, n° 101, ill.
[4] Voir Depauw, 1989, 1992 et Ruby, 1999.
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