Portraits masculin et féminin

Ferdinand Bol s’est formé à Dordrecht dans
un contexte local. Le contact avec Rembrandt,
qui a tant marqué l’artiste, ne date que de la
seconde moitié des années 1630 mais cette
relation n’est pas étonnante car de nombreux
artistes originaires de Dordrecht, comme
Nicolas Maes, Samuel van Hoogstraten ou
encore Arent de Gelder, se sont formés dans
son atelier.
Sur le recto d’un dessin de Rembrandt, exécuté
vers 1637 et conservé à Berlin, se trouve
une annotation du maître indiquant avoir
vendu un tableau de « Fardijnandus ». Cela
constitue le premier témoignage de leur relation[1].
Bol travaille-t-il comme assistant dans
l’atelier du maître, comme le suggère Blankert,
ou s’agit-il d’un second apprentissage, d’une
sorte de perfectionnement, comme le pense
Sumowski ? Les rares sources que nous possédons
sur le fonctionnement des ateliers d’artistes
hollandais du XVIIe siècle ne permettent
pas de trancher clairement. Il semble d’ailleurs
que les fonctions de chaque artiste dans l’atelier
varient selon les qualités artistiques, les
ambitions de chacun et finalement la capacité
à vendre et à vivre de son art. L’atelier de
Rembrandt s’apparente plus à une entreprise,
contrairement à la vision romantique qui est
la nôtre depuis le XIXe siècle.
Les ambitions de Bol sont celles d’un peintre
d’histoire et, après avoir obtenu le droit de
citoyenneté à Amsterdam en 1652, il reçoit de
multiples commandes pour décorer le nouvel
hôtel de ville. Bol excelle pourtant, comme
tant d’artistes rembranesques, dans le portrait
individuel et le portrait de groupe. Dans sa
production, l’expression des figures est traitée
avec dignité, finesse et chaleur. S’adaptant
à l’esthétique de son temps, Bol abandonne
après 1650 le style de Rembrandt pour une
conception plus flamande et plus classicisante
du portrait. Les deux petits portraits
de Grenoble, conçus sur la même feuille, ont
été exécutés dans les années 1650. Annotés
« Van der Helst », ils sont entrés dans la collection
de Grenoble sous une attribution – assez
cohérente par ailleurs – à Gerbrandt van den
Eeckhout (1621-1674), autre élève de Rembrandt
de la génération de Bol. Ce ne sont pas les traits individuels du modèle qui intéressent
ici l’artiste mais le souci de composer des pendants
qui se répondent harmonieusement. Les
traits d’un homme, dans un portrait anonyme
de Bol conservé au Chrysler Museum of Art à
Norfolk (Virginie) et daté de 1650, ne sont pas
très éloignés de celui de Grenoble[2], alors que le
portrait féminin rappelle une peinture datée
de 1660 et vendue à Copenhague en 1961[3].
Une invention récurrente chez Bol est le parapet
peint au premier plan sur lequel s’appuient
les deux modèles, un mouchoir dans la main.
La mise en page de ces portraits est magistrale :
capacité à jouer sur l’intensité de la sanguine
en appuyant plus ou moins fortement sur le
crayon, hachures parallèles pour donner du
relief. Tout traduit ici le savoir-faire de l’artiste
et le grand soin que celui-ci met en oeuvre
pour préparer ses portraits jusque dans les
moindres détails.
Les mêmes caractères stylistiques se retrouvent
dans un Portrait d’homme à la pierre noire
et au lavis conservé au Kupferstichkabinett
de Berlin (Inv. KdZ11902) : même soin pour capter
rapidement la silhouette et lui conférer la
troisième dimension par l’ajout de hachures
parallèles. On retrouve aussi cette curieuse
manière de cadrer le portrait avec des lignes
énergiques alors que les feuilles de papier sont
très réduites. Mais peut-être étaient-elles plus
grandes à l’origine, des marchands peu scrupuleux
les ayant découpées par la suite ? Une
Étude de femme, conservée à la Bibliothèque
nationale de Madrid, est stylistiquement
proche[4]. Elle prépare le Collier de perles de Ferdinand
Bol, tableau daté de 1649[5].
Ses mariages avec deux femmes issues de la
grande bourgeoisie d’Amsterdam permettent à
Bol d’abandonner la peinture vers 1679. C’est
grâce à des commandes de portraits, en harmonie
avec les attentes de son époque, qu’il a pu
créer les relations nécessaires pour assurer sa
prospérité et son ascension sociale.
[1] Voir Blankert, 1982, p. 17, fig. 3.
[2] Sumowski, 1983, I, p. 312, no 165, repr.
[3] Blankert, 1982, n° 160, pl. 171
[4] Blankert, 1982, n° 204B, repr.
[5] Eindhoven, collection Philips ; voir Blankert, 1982, n° 168, pl. 179, repr.