(Sans titre)

Jan Christiaensz Micker est longtemps
demeuré une figure quelque peu mystérieuse,
mentionnée seulement par Arnold Houbraken
comme le maître du peintre italianisant Jan
Baptist Weenix[1]. Son nom apparaît en outre
dans deux documents d’archives, donnant la
date de publication des bans de son mariage
et celle de ses obsèques[2]. On connaît de lui un
tableau surprenant où l’on peut voir depuis
les airs – un point de vue impossible pour
l’époque – la ville d’Amsterdam sur laquelle
des nuages projettent leur ombre. Cette grande
toile, signée IMicker fecit, est une copie d’après
le tableau de Cornelis Anthonisz (vers 1505-
1553) peint en 1538. Elle a probablement été
commandée à Micker après l’incendie de l’hôtel
de ville d’Amsterdam qui endommagea
l’original en 1652[3]. Si le point de vue aérien
revient entièrement à Anthonisz, c’est Micker
qui – s’inspirant certainement des paysages de
Jacob van Ruisdael – adjoint les ombres flottantes
des nuées sur la ville, ajoutant encore à
l’étrangeté du tableau.
On ne dispose toujours que de peu d’informations
biographiques sur Jan Micker[4], mais
son oeuvre peint est aujourd’hui mieux connu,
notamment grâce aux informations rassemblées
par le RKD (Rijksbureau voor Kunsthistorische
Documentatie). Avant tout peintre
d’histoire, de paysage et d’architecture, il collabore
également souvent avec d’autres artistes
dans les tableaux desquels il peint les figures :
notamment Jan Fransz Dammeroen, Hans
Jurriaensz van Baden et Joachim Govertsz
Camphuysen. La production picturale de Micker
est d’une surprenante diversité stylistique.
Ses tableaux signés sont tantôt proches de ceux
d’Abraham Bloemaert[5], de Pieter Lastman[6],
de Rembrandt ou de ses suiveurs de Leyde[7].
D’autres sont en revanche parfaitement inclassables,
présentant des architectures de fantaisie
aux proportions démesurées. C’est le cas
de La Parabole de la porte étroite dont il existe
plusieurs versions[8]. De même, dans le Paysage
panoramique avec un port (coll. R.W. Lloyd, Londres), on aperçoit
des tours et des murailles très hautes qui
ne sont pas sans rappeler la tourelle excessivement
allongée du dessin grenoblois. Dans
ce dernier, la forme très stylisée des arbres est
aussi parfaitement en accord avec la manière
dont Micker représente les architectures et la
végétation dans ses tableaux.
Au verso du dessin, une main – peut-être celle
de Micker – a exécuté à l’encre des esquisses de deux oiseaux en vol et de six cygnes vus de
profil. Les formes des volatiles sont obtenues
par le traçage de boucles en un seul trait de
plume, sans lever la main. Elles évoquent certaines
figures que l’on trouve dans les livres
de calligraphie alors tant en vogue et en particulier
dans les Pays-Bas. Les maîtres de l’art
de l’écriture enjolivaient parfois leurs séries
de gravures de personnages et d’animaux
réalisés en un seul trait de burin : un exercice
forçant l’admiration car il exige une grande
dextérité. Les petits volatiles à la plume au
verso de la feuille grenobloise sont sans doute
inspirés d’un de ces ouvrages et doivent être
interprétés comme de petits graffitis pour se
délier la main.
Dans sa courte notice sur le peintre, le dictionnaire
des artistes néerlandais de Wurzbach
signale un unique dessin de la main de
Jan Micker, comme le nôtre signé, mais en
outre daté de 1630[9]. Il appartenait en 1905
à Johannes Rump, collectionneur danois, qui
vendit la plupart de ses dessins anciens à Berlin
en 1908[10]. Il ne nous a toutefois pas été
possible de tracer cette feuille après cette vente
et le dessin de Grenoble est donc aujourd’hui
encore le seul témoignage tangible de l’activité
de dessinateur de Jan Micker.
[1] Houbraken, 1718-1721, II, p. 77 ; il dit de Micker que c’était un gemeen schilder, un peintre commun, sans talent exceptionnel, dans la moyenne donc.
[2] De Vries, 1885, p. 231.
[3] Bakker et Schmitz, 2007, p. 86.
[4]. On sait qu’en 1653 il habitait sur le Prinsengracht à Amsterdam, en face de l’église Noorderkerk (Wurfbain, 1990, p. 65), église où il sera d’ailleurs inhumé. À la date de son décès, il est dit habiter sur le Lindegracht (De Vries, 1885, p. 231), dans le quartier moins prestigieux du Jordaan, où résidaient à l’époque de nombreux artisans.
[5] Paysage avec un grand pigeonnier et une ferme, vente Amsterdam, Christie’s, 10 mai 2006, no 2 (ill.) ; huile sur panneau, 22,4 x 33,5 cm, signé en b. à g. : Micker. fe.
[6] Le Sacrifice d’Iphigénie, vente Amsterdam, Sotheby’s, 6 mai 2006, no 7 (ill.), huile sur toile, 105,5 x 145,5 cm, signé en b. à g. : Micker. Fecit.
[7] Intérieur avec Faust et Méphisto, vente Uppsala, Uppsala Auktions Kammare, 3 décembre 2008, no 57 (ill.) ; huile sur panneau, 47 x 63 cm, signé : Micker fecit.
[8] Notamment celles du musée national de Varsovie (Bialostocki, 1969, I, no 792) et du Lakenhal à Leyde (Wurfbain, 1983, no 159, p. 218 ; le catalogue mentionne les versions autographes et les copies alors connues du tableau).
[9] Wurzbach, 1963, II, p. 160.
[10] Pour des informations sur Johannes Christian Magnus Rump et sa collection, voir la marque L. 3401 dans la base de données en ligne des Marques de collections (www.marquesdecollections.fr) qui, depuis 2010, reprend et complète les deux volumes publiés par Frits Lugt.
[11] Voir Londres, 1952-1953, n° 311.
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