Vue de Voorburg

Jan Josefsz VAN GOYEN
vers 1625 - 1630
Plume et encre brune, trait d'encadrement à la plume et à l'encre brune coupé sur le bord gauche, sur papier vergé crème
10,9 x 18,3 cm
Crédit photographique :
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix
Acquisition :
Legs de M. Léonce Mesnard en 1890, entré au musée en 1902 (lot 3548, n°1678)

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Ce petit paysage hollandais, exécuté à la plume et à l’encre brune, est entré dans les collections du musée de Grenoble sous le nom de Pieter Molijn. Son style pittoresque est pourtant complètement différent de celui de Jan van Goyen à qui il convient de donner cette feuille. Quand les peintres hollandais du XVIIe siècle se consacrent à la représentation de leur pays, immense plaine dominée par l’eau et le ciel, aucun d’eux ne va aussi loin que Van Goyen dans la représentation de cette vaste terre humide, où les espaces d’ombre et de lumière, de soleil et d’obscurité alternent rapidement et cohabitent même.
Van Goyen présente ici un moulin à vent et dans l’arrière-plan, cachée par les arbres, la petite ville de Voorburg. Une annotation autographe au centre du dessin permet d’identifier ce lieu qui serait sinon resté dans l’anonymat. On reconnaît le clocher de l’église sur une Vue de Voorburg de sud-est d’Anthony Jansz van der Croos, conservée au Haags Historisch Museum à La Haye[1]. Située près de La Haye, Voorburg est une des plus anciennes villes des Provinces-Unies, fondée par les Romains. La famille Huygens y possède au XVIIe siècle une maison de campagne, le Hofwijck, célèbre pour ses jardins et ses collections artistiques et scientifiques (MG D 642). Entre 1618 et 1631, Van Goyen habite à Leyde, dont la ville de Voorburg n’est éloignée que de quinze kilomètres.
Dès le début de sa carrière, Jan van Goyen utilise sans doute la plume même si nous ne connaissons aujourd’hui aucune oeuvre sûre de sa main datant des années 1610. C’est à partir de 1624 et 1625, qu’il se sert pour ses paysages du pinceau et du lavis – parfois de couleurs – et qu’il travaille aussi de plus en plus à la pierre noire rehaussée de touches de lavis. Afin de rendre avec réalisme les effets lumineux et les valeurs tonales d’un paysage animé par des groupes de personnages, des fermes ou des maisons de campagne, Van Goyen abandonne la plume au début des années 1630. Il a recours à de petites hachures précises et spontanées, qu’il utilise dans l’arrière-plan d’une façon moins appuyée, pour suggérer la profondeur. Ces petits traits nerveux donnent d’ailleurs une atmosphère vibrante et suggèrent des paysages inondés de lumière.
Comme le dessin n’est pas signé, le biographe de Van Goyen, Hans-Ulrich Beck, hésite dans un premier temps à le cataloguer dans sa monumentale monographie consacrée à l’artiste alors que la sûreté du trait et les touches, aux contours fragmentés et ouverts, ne laissent que peu de doutes sur son authenticité[2]. La feuille est stylistiquement proche des réalisations d’artistes haarlémois des années précédentes, en particulier des dessins du dernier maître de Van Goyen, Esaias van de Velde (1587-1630), son aîné d’une dizaine d’années. C’est chez lui à Haarlem que Van Goyen s’est formé vers 1617, après avoir effectué un voyage en France dont nous ignorons tout. Les relations entre Esaias van de Velde et Jan van Goyen sont complexes car tous deux font évoluer la représentation du paysage hollandais vers davantage de naturel en s’inspirant sans doute des paysages dessinés d’Hendrick Goltzius. Dans ses peintures des années 1620, Van de Velde se montre cependant plus audacieux que Van Goyen, comme le démontre son célèbre Paysage d’hiver de 1624, conservé au Mauritshuis à La Haye, qui n’a pas d’équivalent dans toute la peinture hollandaise de l’époque. Par la suite, Van de Velde n’influence pas simplement les peintures de Van Goyen mais aussi celles d’autres artistes haarlémois comme Pieter Molijn, Salomon van Ruysdael ou encore le jeune Pieter van Santvoort.
En revanche, dans l’art du dessin, Van Goyen est, selon le corpus des oeuvres connues aujourd’hui, l’artiste le plus novateur. Il va en effet plus loin qu’Esaias van de Velde dans la représentation des effets naturels. La feuille de Grenoble, exécutée vers 1625-1630, en est une preuve éclatante. Esaias van de Velde reste par exemple attaché aux contours ininterrompus et ne capte pas, comme son élève rival, les effets atmosphériques à l’aide de petits traits denses et rapprochés, qui paraissent anarchiques au premier coup d’oeil. Son Passage du bac, conservé au musée Condé à Chantilly et datant de la fin de sa vie, illustre bien sa manière de dessiner qui est plus traditionnelle (Inv. DE 1057). Également, ses petites esquisses à la plume – comme celles de 1619 conservées dans des collections particulières – sont plus denses et picturales que celles de Van Goyen[3].
Le dessin de Grenoble n’est pas une oeuvre isolée et se rattache probablement à un ensemble. En 1937, J. E. van Gelder a tenté de classer les dessins à la plume de Van Goyen selon leur format en les distribuant en quatre livres d’esquisses différents (aujourd’hui démembrés) illustrant les environs de Leyde, de La Haye ou de Haarlem. L’historien ne connaissait pas l’oeuvre de Grenoble ni d’ailleurs le second dessin de ce type (MG D 639) et le mérite revient à Marcel Roethlisberger et Catherine Meyer d’avoir rajouté la feuille de Grenoble et la suivante au livre d’esquisses C de Van Gelder, comportant les feuilles mesurant 11 cm sur 18 cm. Pour sa part, Beck accepte le dessin de Grenoble dans son volume supplémentaire dédié à Van Goyen, paru en 1987. En revanche, il ne croit pas à l’existence des livres d’esquisses établis par Van Gelder et range le dessin parmi les oeuvres variées de l’artiste, exécutées dans les années 1620.


[1] Voir Dumas, 1991, no 180, repr.
[2] Voir Beck, 1972, I, p. 54.
[3] Keyes, 1984 no D 67 et D 136.

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