La Ferme

Considéré par Roethlisberger et Meyer comme
faisant partie du « livre d’esquisses C » de Van
Goyen, comme l’oeuvre Vue de Voorburg(MG D 640),
La Ferme est le deuxième dessin à la plume de
Van Goyen conservé à Grenoble. Elle date des
années 1620 et montre des caractéristiques
techniques proches de la Vue de Voorburg. L’utilisation
très libre de la plume n’empêche pas
l’artiste d’obtenir une grande clarté dans les
détails et de manifester une grande sensibilité
aux effets de lumière.
Autour de 1630, Van Goyen abandonne dans ses
peintures les représentations colorées, détaillées,
variées et aimables afin de se consacrer à la saisie
de l’espace, de la lumière et de l’atmosphère.
L’artiste peint maintenant, avec une admirable
économie de moyens, des fermes au centre de
ses compositions. Elles sont parfois peuplées
de quelques personnages et entourées de dunes
et de chemins ensablés. Van Goyen exécute ses
fermes délabrées quelque deux années avant de
quitter sa ville natale de Leyde pour La Haye en
1632 et changer de nouveau de sujets.
La feuille de Grenoble conserve un aspect
pittoresque mais possède déjà toutes les
composantes de ce groupe de peintures de
Van Goyen, même s’il y manque cette radicale
réduction à l’essentiel qui caractérise les
oeuvres peintes. Le traitement détaillé de l’arrière-
plan, avec la fontaine, justifie la datation
du dessin d’avant 1630. La ferme biscornue de
Grenoble se trouve souvent chez l’artiste qui
veut sans doute ainsi symboliser le caractère
éphémère de toute activité humaine, marquée
par le temps et exposée aux lois de la nature. Il est curieux de constater que quelques mois
plus tôt, à la fin de l’année 1631, le jeune Rembrandt
quitte définitivement Leyde pour s’installer
à Amsterdam. Nous ignorons tout des
liens entre ces deux artistes qui se sont sans
doute connus mais dont les idées artistiques
sont très éloignées. Pourtant, Rembrandt dessine
et grave quelques années plus tard des
fermes pittoresques, marquées par le temps,
qui rappellent celles de Van Goyen.
Dans ce dessin, le traitement de la lumière et
la composition sont caractéristiques de l’art
de Van Goyen, en particulier l’utilisation des
clairs-obscurs marqués et le traitement en silhouette
de la dune à droite, peuplée de quelques
personnages pour suggérer la profondeur. Il
semble que l’artiste n’ait jamais utilisé ses dessins
à la plume pour préparer ses peintures et
les premiers exemples connus d’oeuvres préparatoires
sont exécutés à la pierre noire et datent
du début des années 1630[1]. Dans des feuilles
comme celle-ci, Van Goyen cherche des solutions
concernant le paysage réaliste en dehors
de toute démarche préparatoire. Outre les
feuilles publiées par Beck, deux paysages de Van
Goyen, conservés en mains privées, pourraient
être ajoutés aux feuilles de Grenoble. Ces deux dessins révèlent que Van
Goyen étudie aussi dans les années 1620 des
types de composition plus anciens : l’oeuvre
illustrant une ferme près d’une barrière n’est
pas sans rappeler les feuilles d’Abraham Bloemaert
(Molyn dessinera plus tard de nombreuses
oeuvres similaires) alors que la vue d’un
village évoque Jacob Savery ou encore Cornelis Droochsloot. Ces deux vues paisibles, aux
compositions savamment équilibrées, n’ont pas
l’originalité des dessins de Van Goyen exposés
ici, tous deux provenant de la collection Mesnard
et qui montrent les débuts prometteurs du
grand paysagiste hollandais.
[1] Voir Beck, 1957, p. 241-250.