Trois figures vues à mi-corps, placées derrière un objet mis en réserve, une figure canéphore à l'arrière-plan

La proposition d’attribution à Mattia Preti
(1613-1699), émise par Mario Di Giampaolo,
n’était pas dénuée de fondements (tout comme
d’ailleurs l’ancienne attribution à Salvator Rosa
qui permettait d’orienter la quête nominative
au sein de l’école napolitaine, même si ce
critère de recherche est à prendre avec précaution).
Elle portait en germes les signes d’une
dépendance ou d’un héritage stylistique, forme
de dérivation érigée en terminus. En fait, il
suffisait d’extraire de ce nom l’essence originelle
au contact de laquelle Preti forgea directement
ou indirectement sa manière, essence
originelle portant le nom de Caracciolo, pour
parvenir à l’auteur supposé de ce dessin. Alfred
Moir, en rapprochant un dessin à la sanguine
de Preti et un autre de Caracciolo également à
la sanguine, a bien montré en quoi le premier
constitue une adaptation idiosyncrasique du
second[1]. Le caractère synthétique des signes
mimétiques (visage et mains sont comme
abrégés dans l’expression de leur forme), le
hachurage tonal plus ou moins prononcé selon
les degrés de suggestion des ombres (la
draperie se prête à ce type d’exercice), les lignes
de contour externes cassées à l’intersection des
membres anatomiques (pliure du coude,
jointure de la main et du poignet), donnent à
penser, non que Preti se réclame ouvertement
de Caracciolo (il n’a jamais été l’élève de Caracciolo),
mais que tous deux appartiennent à une
même sphère culturelle graphique ouverte à
des références romano-bolonaises (Caracciolo
a ainsi fait un voyage à Rome en 1614 au cours
duquel il s’est imprégné des modèles élaborés
par les Carrache – Mattia Preti s’est formé en
partie à Rome).
Le dessin de Grenoble rejoint cette tentative de
verbalisation des formes graphiques. On y
retrouve une conception toute voisine du tracé,
des signes mimétiques et du rendu volumétrique
des formes. On pourrait le rapprocher
d’un dessin fort connu de Caracciolo conservé
au Louvre, qui à l’origine formait la partie
droite d’un autre dessin aujourd’hui à l’Albertina
– ces deux feuilles furent coupées et
séparées à une date indéterminée. On y voit
des figures allongées et assises ou encore
penchées. Selon Roberto Longhi, ce groupe de
figures pourrait être mis en rapport avec des
spectateurs regardant par le haut le triomphe
de saint Janvier sortant indemne de la
fournaise, peint par Caracciolo durant les
années 1631-1632 pour la voûte de la chapelle
dédiée à ce saint dans l’église de la chartreuse
de San Martino à Naples. Dans le dessin
grenoblois, l’étagement des figures est comparable
à celui rencontré sur le dessin du Louvre,
mais si le premier a été réalisé à la sanguine,
l’autre l’à été à la pierre noire. Il ne semble pas
en fin de compte que ces deux dessins appartiennent
au même dossier génétique. Seuls
correspondent matière stylistique et mode de
présentation des figures.
Le type de figures dessiné donne à penser que
Caracciolo met en place une disposition destinée
à orner la partie supérieure d’un mur dans le
salon d’un palais. Peut-être a-t-il en tête les
fresques qu’Agostino Tassi peignit à Rome en
1611-1612 avec Orazio Gentileschi sur la voûte
du Casino delle Muse au Palazzo di Scipione
Borghese a Montecavallo, qu’il aurait pu voir lors
de son voyage en 1614. On y voit un groupe de
figures placées derrière une balustrade jouant de
la musique, conversant ou regardant vers la salle.
Cet esprit se retrouve sur le dessin de Grenoble.
Malheureusement, l’on ne connaît pas dans son
œuvre peint de fresques analogues.
Une mise au carreau sur-jacente à la pierre
noire existe pourtant, ce qui en toute logique
signifierait que d’autres dessins ont été réalisés
à partir du module graphique grenoblois. Il est
cependant à noter qu’une première grille tracée
de manière partielle à la sanguine existe. Cette
dernière n’est pas complète : elle semble comme
suspendue. Peut-être a-t-elle été interrompue
en raison de l’utilisation d’un médium de
couleur identique à celui employé pour la
construction des figures. Une graticulation ton
sur ton n’est en effet guère visible. Cela expliquerait
la présence d’un autre réseau tracé, cette
fois-ci, à la pierre noire et donc facilement
repérable.
[1] Le dessin de Preti est conservé à l’Ashmolean d’Oxford. Il s’agit d’une étude pour la figure d’un chevalier de l’ordre de Malte. Le dessin de Caracciolo est conservé à Stockholm, Nationalmuseum, Étude pour une Vierge à l’Enfant.
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