Le Martyre post mortem de saint François de Paule

Andrea DELL'ASTA (attribué à)
XVIIe siècle
Pierre noire, lavis d'encre grise, trait d'encadrement à la pierre noire en forme d'écoinçon cintré par le haut sur papier vergé crème doublé
25,8 x 30,6 cm
Crédit photographique :
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix
Acquisition :
Legs de Léonce Mesnard en 1890, entré au musée en 1914 (lot 3942).

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Le sujet étudié sur ce dessin est rarissime. Le saint représenté est le fondateur de l’ordre des Minimes, saint François de Paule. Il porte le scapulaire court à capuchon passant sous la corde que ceignent les religieux de cet ordre. L’épisode mis en scène est son martyre[1], qui eut lieu non de son vivant, puisqu’il est mort de mort naturelle au couvent de Plessis-lez-Tours en Touraine le 2 avril 1507, mais post mortem dans la nuit du 13 au 14 avril 1562. Ce martyre est en fait, devrait-on dire en termes juridiques, une violation de sépulture suivie d’actes de barbarie perpétrés sur un cadavre. Les responsables de ces actes sont des huguenots conduits par Martin Pibelleau qui, après avoir brûlé le corps de saint Martin dans la basilique éponyme de Tours, se rendirent au couvent de Plessis-lez-Tours où ils saccagèrent le tombeau de Frédéric d’Aragon, fils du roi Ferdinand, puis s’en prirent par la suite au corps de saint François de Paule, qu’ils tirèrent de sa tombe par une corde et qu’ils brûlèrent en partie. C’est ce dernier moment qui est représenté. On peut ainsi voir sur un cheval le chef des huguenots donnant l’ordre d’apporter des croix en bois, afin d’alimenter un bûcher sur lequel le corps du saint est posé. Un soldat à main gauche tenant une torche est en train de l’allumer. La position du saint, les bras écartés, correspond à celle d’un crucifié. Il est de plus placé ostensiblement sur une croix imposante, son buste étant légèrement désaxé, comparable à celle sur laquelle le Christ fut crucifié. Le sens du dispositif est clair : saint François de Paule subit de manière posthume le martyre de la crucifixion à l’image du Christ. Les huguenots sont de fait assimilés aux païens.
Si l’identification du sujet a pu être résolue, ce n’est malheureusement pas le cas de celle de son auteur. Les stylèmes qui caractérisent les signes graphiques de cette feuille sont néanmoins assignables à une aire géographique précise, l’aire napolitaine, et peuvent même être décrits dans des termes référencés à des manières (supra-)individuelles. C’est en effet une sorte de combinaison des faires giordanesque et soliménesque, plus soliménesque d’ailleurs que giordanesque, qui se lit dans la facture graphique des figures. Luca Giordano (1634- 1705) et Francesco Solimena (1657-1747) sont, on le sait, à Naples les deux figures tutélaires auprès de qui les peintres viennent puiser. Au XVIIIe siècle, c’est plutôt Solimena qui domine toutes les manières individuelles. Son atelier était extrêmement actif et de très nombreux peintres s’y sont formés. Tous ses épigones ont dessiné et peint dans un esprit de révérence stylistique, voire de dévotion à sa manière de faire. Le dessin de Grenoble s’inscrit parfaitement dans cette mouvance stylistique. Il est même possible de lire en filigrane les propres révérences-références de Solimena : l’admiration qu’il voue à l’art de composer de Mattia Preti (1613-1699), si bien qu’à un certain moment, nous avons cru qu’il pouvait s’agir d’une copie d’après une composition perdue du Cavalier Calabrese. La figure de bord mettant le feu au bûcher faisant à la fois office de repoussoir – elle met à distance les groupes de figures – et de liaison fictive entre la peinture et le réel – dessinée en entier si l’on regarde attentivement le dessin, sa jambe droite est coupée par le trait d’encadrement, procédé qui permet d’accentuer l’illusion d’intégration – trouve ainsi sa source dans l’œuvre de Preti non pas physiquement à proprement parler, c’est-à- dire trait pour trait, mais structurellement parlant dirions-nous[2]. Le point de vue bas est aussi une constante prétienne (renforcé par le fait que le projet est très certainement destiné à orner un pendentif de coupole, si la surface peinte projetée était concave, ou un écoinçon, si celle-ci était plane).
Parmi les élèves de Solimena, le nom d’Andrea d’Aste peut être retenu – il fut l’un de ses premiers disciples. L’existence d’un dessin conservé au Museo di San Martino à Naples, préparatoire à une toile peinte entre 1709 et 1710 sur la voûte de la cathédrale d’Amalfi (troisième compartiment), représentant un Miracle de la manne devant l’autel de saint André, est à l’origine de notre proposition[3]. On y retrouve les caractéristiques susmentionnées : point de vue bas, figures dessinées à la Solimena et mode de composition à la Preti, constitué de nombreuses figures de bord (il était d’ailleurs attribué à Preti avant que Walter Vitzthumne le mette en relation avec la peinture d’Andrea d’Aste). On sait aussi qu’il s’intéressa de très près à l’art de Preti qu’il étudia tant à Naples qu’à Rome[4]. Malheureusement, les rares travaux qui lui sont consacrés[5] ne mentionnent pas l’existence d’une peinture représentant le Martyre post mortem de saint François de Paule, sujet il est vrai fort peu napolitain. Pourrait-on penser que celui-ci fut étudié pour orner une église de l’ordre des Minimes dans la Calabre, région d’où est origine le saint martyrisé (saint François de Paule est en effet né à Paola comme son nom l’indique où se trouve le principal couvent de son ordre) ? Peut-être par Andrea d’Aste.


[1] J’adresse mes plus vifs remerciements au père Paolo Raponi O.M. qui a identifié le sujet, ainsi qu’à Michel Laurencin, président de l’Association des Amis de saint François de Paule et à Pierre Morandini de la Bibliothèque franciscaine des Capucins.
[2] Voir par exemple les figures de bord peintes dans les médaillons ornant le plafond de l’église napolitaine de San Pietro a Maiella.
[3] Inv. no 20665 ; pierre noire, lavis d’encre.
[4] Il fit un voyage à Rome (il y vécut au tout début du siècle), où il étudia à Sant’Andrea della Valle les compositions peintes par Preti dans le choeur. Il s’en inspira pour réaliser celles qu’il peignit pour la cathédrale d’Amalfi.
[5] Engass, 1961 et Pavone, 1985.

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