Le Martyre post mortem de saint François de Paule
Le sujet étudié sur ce dessin est rarissime. Le
saint représenté est le fondateur de l’ordre des
Minimes, saint François de Paule. Il porte le
scapulaire court à capuchon passant sous la
corde que ceignent les religieux de cet ordre.
L’épisode mis en scène est son martyre[1], qui eut
lieu non de son vivant, puisqu’il est mort de
mort naturelle au couvent de Plessis-lez-Tours
en Touraine le 2 avril 1507, mais post mortem
dans la nuit du 13 au 14 avril 1562. Ce martyre
est en fait, devrait-on dire en termes juridiques,
une violation de sépulture suivie d’actes de
barbarie perpétrés sur un cadavre. Les responsables
de ces actes sont des huguenots conduits
par Martin Pibelleau qui, après avoir brûlé le
corps de saint Martin dans la basilique
éponyme de Tours, se rendirent au couvent de
Plessis-lez-Tours où ils saccagèrent le tombeau
de Frédéric d’Aragon, fils du roi Ferdinand, puis
s’en prirent par la suite au corps de saint
François de Paule, qu’ils tirèrent de sa tombe
par une corde et qu’ils brûlèrent en partie. C’est
ce dernier moment qui est représenté. On peut
ainsi voir sur un cheval le chef des huguenots
donnant l’ordre d’apporter des croix en bois,
afin d’alimenter un bûcher sur lequel le corps
du saint est posé. Un soldat à main gauche
tenant une torche est en train de l’allumer. La
position du saint, les bras écartés, correspond
à celle d’un crucifié. Il est de plus placé ostensiblement
sur une croix imposante, son buste
étant légèrement désaxé, comparable à celle sur
laquelle le Christ fut crucifié. Le sens du dispositif
est clair : saint François de Paule subit de
manière posthume le martyre de la crucifixion
à l’image du Christ. Les huguenots sont de fait
assimilés aux païens.
Si l’identification du sujet a pu être résolue, ce
n’est malheureusement pas le cas de celle de son
auteur. Les stylèmes qui caractérisent les signes
graphiques de cette feuille sont néanmoins
assignables à une aire géographique précise,
l’aire napolitaine, et peuvent même être décrits
dans des termes référencés à des manières
(supra-)individuelles. C’est en effet une sorte
de combinaison des faires giordanesque et
soliménesque, plus soliménesque d’ailleurs que
giordanesque, qui se lit dans la facture
graphique des figures. Luca Giordano (1634-
1705) et Francesco Solimena (1657-1747) sont,
on le sait, à Naples les deux figures tutélaires
auprès de qui les peintres viennent puiser. Au
XVIIIe siècle, c’est plutôt Solimena qui domine
toutes les manières individuelles. Son atelier
était extrêmement actif et de très nombreux
peintres s’y sont formés. Tous ses épigones ont
dessiné et peint dans un esprit de révérence
stylistique, voire de dévotion à sa manière de
faire. Le dessin de Grenoble s’inscrit parfaitement
dans cette mouvance stylistique. Il est
même possible de lire en filigrane les propres
révérences-références de Solimena : l’admiration
qu’il voue à l’art de composer de Mattia
Preti (1613-1699), si bien qu’à un certain
moment, nous avons cru qu’il pouvait s’agir
d’une copie d’après une composition perdue
du Cavalier Calabrese. La figure de bord
mettant le feu au bûcher faisant à la fois office
de repoussoir – elle met à distance les groupes
de figures – et de liaison fictive entre la peinture
et le réel – dessinée en entier si l’on regarde
attentivement le dessin, sa jambe droite est
coupée par le trait d’encadrement, procédé qui
permet d’accentuer l’illusion d’intégration –
trouve ainsi sa source dans l’œuvre de Preti non
pas physiquement à proprement parler, c’est-à-
dire trait pour trait, mais structurellement
parlant dirions-nous[2]. Le point de vue bas est
aussi une constante prétienne (renforcé par le
fait que le projet est très certainement destiné
à orner un pendentif de coupole, si la surface
peinte projetée était concave, ou un écoinçon, si
celle-ci était plane).
Parmi les élèves de Solimena, le nom d’Andrea
d’Aste peut être retenu – il fut l’un de ses
premiers disciples. L’existence d’un dessin
conservé au Museo di San Martino à Naples,
préparatoire à une toile peinte entre 1709
et 1710 sur la voûte de la cathédrale d’Amalfi
(troisième compartiment), représentant un
Miracle de la manne devant l’autel de saint
André, est à l’origine de notre proposition[3]. On
y retrouve les caractéristiques susmentionnées :
point de vue bas, figures dessinées à la Solimena
et mode de composition à la Preti, constitué de
nombreuses figures de bord (il était d’ailleurs
attribué à Preti avant que Walter Vitzthumne le
mette en relation avec la peinture d’Andrea
d’Aste). On sait aussi qu’il s’intéressa de très près
à l’art de Preti qu’il étudia tant à Naples qu’à
Rome[4]. Malheureusement, les rares travaux qui
lui sont consacrés[5] ne mentionnent pas l’existence
d’une peinture représentant le Martyre
post mortem de saint François de Paule, sujet il
est vrai fort peu napolitain. Pourrait-on penser que celui-ci fut étudié pour orner une église de l’ordre des Minimes dans la Calabre, région d’où
est origine le saint martyrisé (saint François de
Paule est en effet né à Paola comme son nom
l’indique où se trouve le principal couvent de
son ordre) ? Peut-être par Andrea d’Aste.
[1] J’adresse mes plus vifs remerciements au père Paolo Raponi O.M. qui a identifié le sujet, ainsi qu’à Michel Laurencin, président de l’Association des Amis de saint François de Paule et à Pierre Morandini de la Bibliothèque franciscaine des Capucins.
[2] Voir par exemple les figures de bord peintes dans les médaillons ornant le plafond de l’église napolitaine de San Pietro a Maiella.
[3] Inv. no 20665 ; pierre noire, lavis d’encre.
[4] Il fit un voyage à Rome (il y vécut au tout début du siècle), où il étudia à Sant’Andrea della Valle les compositions peintes par Preti dans le choeur. Il s’en inspira pour réaliser celles qu’il peignit pour la cathédrale d’Amalfi.
[5] Engass, 1961 et Pavone, 1985.
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