Etude pour le Christ et la femme adultère

Pompeo GHITTI
XVIIe siècle
Plume et encre brune sur un tracé préparatoire à la pierre noire, trait d'encadrement à la pierre noire sur papier crème filigrané
19 x 29,3 cm
Crédit photographique :
VILLE DE GRENOBLE / MUSÉE DE GRENOBLE-J.L. LACROIX
Acquisition :
Legs de Léonce Mesnard en 1890, entré au musée en 1902 (Lot 3544, n°1342)

Voir sur navigart

Ce dessin a récemment été exposé au musée Fabre sous le nom d’Alessandro Maganza, dans le cadre d’une exposition consacrée au dessin vénitien conservé dans les collections publiques françaises. Cette attribution semblait alors séduisante, même si dans l’œuvre de l’artiste vicentin, aucune peinture ne pouvait être mise en regard. Cette absence de rapport, assez courante dans sa production, était compensée par de manifestes points de similitudes stylistiques entre ce dessin et les autres œuvres graphiques, dont les principales caractéristiques résident dans le traitement schématique du nez, des pieds et un jeu de lignes rapidement tracées, délimitant des formes corporelles élancées. Ce rapprochement, fondé sur des critères de proximité stylistique, aussi judicieux fut-il, est pourtant erroné. La découverte de deux autres feuilles, appartenant vraisemblablement à une série génétique voisine, a en effet bouleversé la proposition d’attribution à Maganza.
Le premier dessin provenant de la collection Fachsenfeld est conservé à la Staatsgalerie de Stuttgart et étudie le même sujet dans une disposition différente [1]. Celui-ci est attribué, dans le dernier catalogue du musée, au peintre romain Giovanni Baglione. Cette attribution ne peut tenir et doit être écartée. L’œuvre graphique de Baglione est très bien connu et présente des caractéristiques stylistico-techniques tellement différentes qu’il n’est nul besoin de procéder à des comparaisons pour rendre compte de notre certitude. Le second dessin est en revanche correctement attribué. Il est conservé au Musée national de Stockholm et étudie un sujet non pas identique mais proche, puisqu’il met en scène une pécheresse repentante : La Madeleine oignant les pieds du Christ dans la maison de Lazare. Il porte une attribution ancienne au peintre de Brescia, Pompeo Ghitti, en raison d’une annotation écrite à la plume et à l’encre brune d’une graphie datant vraisemblablement du début du XVIIIe siècle. Ce peintre, formé tout d’abord auprès d’Ottavio Amigoni, puis à Milan dans l’atelier de Giovanni Discepoli, travailla principalement à Brescia dans la seconde moitié du XVIIe siècle où il fournit nombre de tableaux pour les églises et les couvents de la ville.
L’agrégation de ces deux feuilles à celle de Grenoble se doit d’être argumentée, tout comme l’attribution à Ghitti. Après tout, une autre erreur pourrait succéder à une première erreur. Le format des trois feuilles est tout d’abord quasi identique. L’établissement des compositions en longueur et sans suggestion de profondeur est ensuite comparable. La conception resserrée et isocéphalique de la disposition, d’une grande densité en terme de figures (seule la tête du Christ dans le dessin de Stuttgart dépasse légèrement afin de mettre en valeur son rôle dans l’historia représentée), se remarque également dans les trois feuilles. À ces trois points de contact s’ajoute celui de la matière stylistique. Toutes trois présentent des figures construites selon un même module graphique, voire formel, comme par exemple la figure de droite légèrement penchée vers le Christ dans le dessin de Grenoble, que l’on retrouve presque trait pour trait dans le dessin de Stockholm, tenant cette fois-ci un vase.
L’œuvre dessiné de Ghitti est riche de plusieurs dizaines de feuilles, principalement conservées à l’Ambrosiana à Milan et à l’Accademia Carrara à Bergame, et a été étudié et « reconstruit » par Ugo Ruggeri dans diverses publications. Ce sont, en grande partie, des études de compositions religieuses destinées à être intégrées dans des tableaux d’autel. Deux grandes habitudes graphiques s’en dégagent : l’usage de hachures en pluie et le traitement anguleux des membres anatomiques, à l’exception des lignes de contour, structurant les masses corporelles, plus souples et dynamiques. Si la première caractéristique ne se retrouve pas dans les trois dessins, la seconde peut y être constatée [2].
L’attribution à Ghitti aurait pu être entérinée s’il existait bien évidemment une peinture en rapport avec l’un ou l’autre de ces dessins. Une remarque de Sergio Marinelli, écrite dans le catalogue de l’exposition qui eut lieu à Montpellier, garde toutefois toute sa pertinence. Il en venait, pour expliquer cette absence de peinture, à émettre l’hypothèse qu’il pourrait s’agir « d’une copie dessinée par Maganza [donc maintenant par Ghitti] d’un tableau de jeunesse perdu [de Tintoret], une de ses nombreuses compositions sur le thème de la femme adultère, que le grand Vénitien a dû expérimenter d’une manière systématique, avec toutes les possibilités de variations possibles ». En effet, certains détails sont des reprises ou plutôt des adaptations issues de tableaux de Tintoret. C’est le cas de la figure du soldat penché qui soutient la femme adultère, laquelle constitue une variante très proche d’une figure placée dans la même position dans le Christ devant Pilate de la Scuola di San Rocco à Venise. Le soldat portant un béret à la vénitienne, figuré à l’extrême gauche, renvoie tout autant à certaines de ses inventions, tout comme la figure du Christ agenouillé en train d’écrire la fameuse phrase, « Que celui d’entre vous qui est sans péché lui jette le premier une pierre! », fait écho à d’autres de ses œuvres, notamment Le Lavement des pieds datant de 1547, autrefois exposé à San Marcuola à Venise et aujourd’hui à l’Escorial. L’hypothèse de S. Marinelli est séduisante. Mais à l’idée de copie, nous préférerions celle de pastiche. Et ce jeu d’imitation pourrait être étendu à d’autres figures de peintres. Le dessin de Stockholm fait ainsi penser à une adaptation et à une recomposition de dispositifs conçus par Véronèse, tout comme certaines figures apparaissant dans le dessin de Stuttgart (le motif du spectateur dans le tableau enlacé autour d’une colonne) sont des citations véronésiennes.
Cet assemblage de références, remarquablement insérées dans les compositions, fait dire que Ghitti dessine, non pas en vue d’une peinture,mais dans le but très certainement de s’exercer. Il s’agirait donc moins de dessins préparatoires que d’exercices de disposition, à la manière de Tintoret et de Véronèse, imaginés à partir de sujets voisins (la femme adultère), ce qui amène à croire que ces trois dessins, aux dimensions et aux conceptions de disposition semblables, appartiennent vraisemblablement à une même série.


[1] Inv.-Nr. II 1238. 20 x 27 cm. Plume et encre brune, lavis d’encre brune, sur un tracé préparatoire à la pierre noire, sur papier crème.
[2] Voir par exemple à l’Ambrosiana ces deux dessins comparables reproduits sur le site internet http://italnet.nd.edu/ambrosiana : l’inv. F 253 inf. n. 1094 étudiant une Dernière Cène (disposition proche de celle figurant sur le dessin de Stockholm) et l’inv. F 253 inf. n. 1074 étudiant un Évêque distribuant l’aumône.

Découvrez également...