Etude pour la figure d'un saint Jérôme pénitent
Une chose est certaine : cette feuille appartient
à un groupe d’une petite vingtaine de dessins
conservés principalement aux Offices, à Rome,
à Francfort et à Berlin, étudiant des figures
masculines isolées, vues de dos le plus généralement
ou de face, dans des poses suggérant la
prégnance de modèles antiques (la figure du
saint Jérôme grenoblois n’est pas ainsi sans
rappeler le Torse du Belvédère). Tous sont
réalisés à la plume et à l’encre brune. Un
premier trait dessine la silhouette de la figure ;
ce trait de circonscription est ensuite complété
par d’autres traits, soit parallèles, soit entrecroisés
: ils permettent de construire les formes
internes du corps mimétique, les parties en
relief ou en creux des membres anatomiques et
des muscles. Ces formes caves ou sortantes
suggérant le volume corporel sont conçues
selon un point de vue tenant compte de la
présence fictive d’une orientation lumineuse.
Cela signifie que le réseau de hachures et de
traits entrecroisés se densifie au fur et à mesure
que les parties du corps rentrent dans l’ombre.
Dans le cas du dessin de Grenoble, les muscles
abdominaux du saint placés côté ombre, sont
ainsi constitués d’un réseau extrêmement
resserré de traits entrecroisés. Une dernière
caractéristique relie tous ces dessins : le trait de
circonscription de la figure est entouré d’une
surface exempte de toutes finalités mimétiques,
faite de traits croisés ressemblant à une sorte de
toile d’araignée.
La cohérence stylistico-technique de ce groupe
de dessins ne trouve pas malheureusement une
traduction équivalente du côté de la connaissance
de son auteur. Plusieurs noms ont été
avancés et aucun à l’heure d’aujourd’hui ne
semble faire l’unanimité.
C’est en fait toute la difficulté du dessin vénitien
qui se condense dans ce groupe de dessins. Il est
incontestable de dire que leur matrice stylistique
est à chercher du côté de Giorgione et de Titien,
plus peut-être d’ailleurs du côté de Titien. Et
pour cette raison, ils ont été donnés un temps à
chacun de ces deux dessinateurs (ce sont le plus
souvent des attributions qui remontent au
XVIIe siècle). Les propositions se sont ensuite
étendues à des contemporains et suiveurs :
Sebastiano del Piombo (au moment de son
passage de Venise à Rome), Stefano dall’Arzere
(c. 1505-1576) et en dernier lieu, Johann Stefan
von Calcar (c. 1510 – c. 1546). Le premier nom
a très vite été abandonné après avoir connu un
relatif « succès » dans les années trente et
quarante du siècle dernier (les Tietze, Pallucchini,
Fioco), le second est arrivé sur la scène du
connoisseurship en 1991 sous la plume d’Alessandro
Ballarin et a rencontré quelques partisans
(Agosti), et le troisième est une invention
récente due à Nicole Dacos. Les deux dernières
propositions ne reposent sur aucun élément
« positif ». Stefano dall’Arzere est un peintre, et
certainement dessinateur, dont on ne connaît
aucun dessin sûr et qui travailla à Padoue, ville
dont il est originaire ; Johann Stefan von Calcar
est un peintre originaire de Clèves en Rhénanie
qui, selon Vasari, aurait été élève de Titien (on
connaît de lui trois portraits de grande qualité
conservés au Louvre, à la Galleria Spada à Rome
et anciennement à Berlin qui témoignent de la
connaissance de l’œuvre du peintre de Cadore).
On sait aussi qu’il grava des planches pour
l’illustration des traités d’anatomie de Vésale, à
l’université de Padoue, autour de 1538. En
revanche, l’œuvre graphique de Domenico
Campagnola est mieux connu grâce à son
activité de graveur et aussi grâce au fait qu’il
« inventa » très certainement le dessin fini, signé
et daté destiné à être collectionné et admiré
comme tel à l’image d’une peinture autonome.
Ses gravures sont nombreuses (ce sont le plus
souvent des sujets profanes ou sacrés sis dans
des paysages) et des dessins préparatoires ont
pu être reliés à quelques-unes d’entre elles. En
dehors du caractère stylistique proprement titianesque
qui relie très certainement les œuvres
réelles ou imaginées de ces artistes, un autre
élément est susceptible de les réunir : leur
présence à Padoue. Stefano dall’Arzere est
padouan, Calcar a travaillé dans cette ville et
Domenico Campagnola s’y installe vers 1525.
On pourrait de la sorte affirmer qu’ils se sont
rencontrés et connus. C’est le cas pour Stefano
dall’Arzere qui fréquenta l’atelier de Domenico;
cela pourrait être le cas pour Calcarmais aucun
document ne l’affirme.
D’une certaine manière, ces deux petits maîtres
ont gravité autour de Domenico et se sont
peut-être formés ou ont acquis des compléments
de formation auprès de lui. Pour ces
raisons, nous préférons placer ce dessin dans
son entourage à une date tournant autour de
1530, tout en privilégiant une attribution
directe à Campagnola. L’argument que nous
souhaiterions avancer pour justifier une telle
proposition réside dans la présence de ce que
nous avons appelé la « toile d’araignée », ainsi
que dans le jeu des traits entrecroisés qui
pourraient indiquer que l’auteur de ce dessin
est un graveur de formation et de métier – et
rappelons-le, c’est le cas de Domenico qui fut
formé par son père adoptif, Giulio Campagnola.
Cette manière de faire, proche des tailles
de la gravure, ne signifie pas pour autant que
cette feuille est préparatoire à une gravure
représentant saint Jérôme repentant dans un
paysage, ni que d’autres dessinateurs n’aient pas
pu imiter cette manière de faire. Le champ des
possibilités reste ouvert.
Découvrez également...
-
Bande fragmentaire
IIIe siècle? - Ve siècle? -
Sans titre
XXe siècle -
Eléphant
XIXe siècle - XXe siècle