Etude pour la figure d'un saint Jérôme pénitent

Domenico CAMPAGNOLA (entourage de)
XVIe siècle
Plume et encre brune, sur papier crème filigrané et doublé
21 x 16 cm
Crédit photographique :
VILLE DE GRENOBLE / MUSÉE DE GRENOBLE-J.L. LACROIX
Acquisition :
Legs de Léonce Mesnard en 1890, entré au musée en 1902 (Dessins devant être exposés sur des cadres tournant autour d'un pivot, n°282)

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Une chose est certaine : cette feuille appartient à un groupe d’une petite vingtaine de dessins conservés principalement aux Offices, à Rome, à Francfort et à Berlin, étudiant des figures masculines isolées, vues de dos le plus généralement ou de face, dans des poses suggérant la prégnance de modèles antiques (la figure du saint Jérôme grenoblois n’est pas ainsi sans rappeler le Torse du Belvédère). Tous sont réalisés à la plume et à l’encre brune. Un premier trait dessine la silhouette de la figure ; ce trait de circonscription est ensuite complété par d’autres traits, soit parallèles, soit entrecroisés : ils permettent de construire les formes internes du corps mimétique, les parties en relief ou en creux des membres anatomiques et des muscles. Ces formes caves ou sortantes suggérant le volume corporel sont conçues selon un point de vue tenant compte de la présence fictive d’une orientation lumineuse. Cela signifie que le réseau de hachures et de traits entrecroisés se densifie au fur et à mesure que les parties du corps rentrent dans l’ombre. Dans le cas du dessin de Grenoble, les muscles abdominaux du saint placés côté ombre, sont ainsi constitués d’un réseau extrêmement resserré de traits entrecroisés. Une dernière caractéristique relie tous ces dessins : le trait de circonscription de la figure est entouré d’une surface exempte de toutes finalités mimétiques, faite de traits croisés ressemblant à une sorte de toile d’araignée.
La cohérence stylistico-technique de ce groupe de dessins ne trouve pas malheureusement une traduction équivalente du côté de la connaissance de son auteur. Plusieurs noms ont été avancés et aucun à l’heure d’aujourd’hui ne semble faire l’unanimité.
C’est en fait toute la difficulté du dessin vénitien qui se condense dans ce groupe de dessins. Il est incontestable de dire que leur matrice stylistique est à chercher du côté de Giorgione et de Titien, plus peut-être d’ailleurs du côté de Titien. Et pour cette raison, ils ont été donnés un temps à chacun de ces deux dessinateurs (ce sont le plus souvent des attributions qui remontent au XVIIe siècle). Les propositions se sont ensuite étendues à des contemporains et suiveurs : Sebastiano del Piombo (au moment de son passage de Venise à Rome), Stefano dall’Arzere (c. 1505-1576) et en dernier lieu, Johann Stefan von Calcar (c. 1510 – c. 1546). Le premier nom a très vite été abandonné après avoir connu un relatif « succès » dans les années trente et quarante du siècle dernier (les Tietze, Pallucchini, Fioco), le second est arrivé sur la scène du connoisseurship en 1991 sous la plume d’Alessandro Ballarin et a rencontré quelques partisans (Agosti), et le troisième est une invention récente due à Nicole Dacos. Les deux dernières propositions ne reposent sur aucun élément « positif ». Stefano dall’Arzere est un peintre, et certainement dessinateur, dont on ne connaît aucun dessin sûr et qui travailla à Padoue, ville dont il est originaire ; Johann Stefan von Calcar est un peintre originaire de Clèves en Rhénanie qui, selon Vasari, aurait été élève de Titien (on connaît de lui trois portraits de grande qualité conservés au Louvre, à la Galleria Spada à Rome et anciennement à Berlin qui témoignent de la connaissance de l’œuvre du peintre de Cadore). On sait aussi qu’il grava des planches pour l’illustration des traités d’anatomie de Vésale, à l’université de Padoue, autour de 1538. En revanche, l’œuvre graphique de Domenico Campagnola est mieux connu grâce à son activité de graveur et aussi grâce au fait qu’il « inventa » très certainement le dessin fini, signé et daté destiné à être collectionné et admiré comme tel à l’image d’une peinture autonome. Ses gravures sont nombreuses (ce sont le plus souvent des sujets profanes ou sacrés sis dans des paysages) et des dessins préparatoires ont pu être reliés à quelques-unes d’entre elles. En dehors du caractère stylistique proprement titianesque qui relie très certainement les œuvres réelles ou imaginées de ces artistes, un autre élément est susceptible de les réunir : leur présence à Padoue. Stefano dall’Arzere est padouan, Calcar a travaillé dans cette ville et Domenico Campagnola s’y installe vers 1525. On pourrait de la sorte affirmer qu’ils se sont rencontrés et connus. C’est le cas pour Stefano dall’Arzere qui fréquenta l’atelier de Domenico; cela pourrait être le cas pour Calcarmais aucun document ne l’affirme.
D’une certaine manière, ces deux petits maîtres ont gravité autour de Domenico et se sont peut-être formés ou ont acquis des compléments de formation auprès de lui. Pour ces raisons, nous préférons placer ce dessin dans son entourage à une date tournant autour de 1530, tout en privilégiant une attribution directe à Campagnola. L’argument que nous souhaiterions avancer pour justifier une telle proposition réside dans la présence de ce que nous avons appelé la « toile d’araignée », ainsi que dans le jeu des traits entrecroisés qui pourraient indiquer que l’auteur de ce dessin est un graveur de formation et de métier – et rappelons-le, c’est le cas de Domenico qui fut formé par son père adoptif, Giulio Campagnola. Cette manière de faire, proche des tailles de la gravure, ne signifie pas pour autant que cette feuille est préparatoire à une gravure représentant saint Jérôme repentant dans un paysage, ni que d’autres dessinateurs n’aient pas pu imiter cette manière de faire. Le champ des possibilités reste ouvert.

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