Etude pour une composition représentant Samson et Dalila

Giovanni Battista PAGGI (attribué à)
XVIIe siècle
Plume et encre brune, lavis d'encre brune sur un tracé partiel à la pierre noire, sur papier vergé crème doublé
19,1 x 16,5 cm
Crédit photographique :
VILLE DE GRENOBLE / MUSÉE DE GRENOBLE-J.L. LACROIX
Acquisition :
Legs de Léonce Mesard en 1890, entré au musée en 1902 (dessins devant être exposés sur des cadres tournant autour d'un pivot, n°164)

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Malgré la présence d’une annotation ancienne, datant selon toute vraisemblance de la fin du XVIIe siècle et mentionnant le nom du peintre génois Luciano Borzone (1590-1645), ce dessin revient à Giovanni Battista Paggi. Ce peintre est également génois et est issu d’une famille patricienne de la république maritime. Son père lui donna une éducation poussée dans les domaines des lettres, des mathématiques et du commerce afin de l’associer à la gestion de ses affaires marchandes. Son penchant pour le dessin l’amena à fréquenter le peintre qui dominait alors les arts à Gênes, Luca Cambiaso qui l’encouragea dans cette voie. Mais c’est à la mort de son père qu’il put devenir peintre à l’âge de vingt-cinq ans. En raison d’un homicide, il dut fuir la ville et se réfugia en Toscane où il demeura de 1579 à 1599. Il y rencontra les principaux peintres de l’époque : Ligozzi, Passignano, Cigoli. À son retour, avec l’appui d’un membre de la haute société génoise, Gio. Carlo Doria, il créa sur le modèle florentin une académie et milita pour l’abolition de la corporation des peintres et la promotion de la peinture comme art libéral. Grâce à son prestige et à son rang social, il obtint de nombreuses commandes.
Les critères de l’attribution reposent sur deux éléments : les signes stylistico-techniques propres à l’idiosyncrasie de l’artiste et l’existence d’un dossier génétique comprenant deux dessins, préparant une peinture conservée dans une collection privée italienne. Le sujet représenté est tiré du Livre des Juges dans l’Ancien Testament (XVI, 5-19). Le moment précis mis en scène, tiré de l’histoire de Samson, est celui au cours duquel Dalila avec l’aide d’un homme est en train de couper les sept tresses de Samson, endormi sur ses genoux, qui le rendaient invincible aux Philistins. Le premier dessin appartient à une collection particulière anglaise[1], le deuxième à la Galleria di Palazzo Rosso à Gênes[2]. Paggi avait, grâce à son éducation, une conception tout intellectuelle de la peinture. Représenter un sujet c’était, à ses yeux, être capable de varier les possibilités de disposition des figures et des éléments appartenant en propre au sujet. Un dessin conservé à la Galleria di Palazzo Rosso est, à cet égard, emblématique de sa méthode de travail. Sur une feuille de 18,4 x13,3 cm, Paggi a juxtaposé douze petites compositions soigneusement encadrées de mêmes dimensions dans lesquelles, pour chacune d’entre elles, il propose une disposition à chaque fois différente. Le sujet étudié et varié est celui de Salomon sacrifiant aux idoles, préparatoire à une toile datant de 1599. On comprend alors pourquoi chacun des trois dessins connus, mettant en scène le sujet de Samson et Dalila, présente des divergences de disposition même s’il faut le souligner, celles-ci sont minimes par rapport aux douze solutions présentes sur le dessin du Palazzo Rosso. Il est vrai aussi que le statut préparatoire de ces dessins n’est pas le même. Les deux dessins anglais et génois appartiennent au stade des études sommaires de disposition : les figures sont tracées rapidement à la plume et à l’encre brune et légèrement hachurées tandis que le dessin de Grenoble présente une facture dénotant un stade d’élaboration beaucoup plus avancé, lui conférant du coup un statut de modello en puissance en raison de la pose d’un lavis d’encre brune, suggérant les volumes, et de l’absence de reprises et de repentirs dans le tracé. Ce statut de modello a dû cependant rester provisoire. Car la peinture montre une ordonnance différente: la table sur laquelle reposent un vase et un plat, sise à main droite sur le dessin, se retrouve à main gauche sur la peinture. Du coup, l’ouverture sur l’extérieur est déplacée au centre. Et les positions des corps des trois personnages présentent elles aussi des variantes.
Il se pourrait néanmoins que ce « dessin-modello » ait préparé une tout autre peinture (ou gravure[3]) ou qu’il reproduise a posteriori une peinture déjà réalisée. Grâce aux recherches de Peter Marshall Lukehart, on sait que Paggi s’était constitué une sorte de liber veritatis contenant des « ricordi della pittura amano » (« souvenirs de peinture à la main »). Ces quatre « quinterni » (« cahiers ») sont mentionnés dans l’inventaire des biens du peintre annexé à son testament. D’une certaine manière, Paggi avait établi son propre catalogue raisonné de son œuvre peint. Tous ces « dessins-souvenirs » étaient annotés de sa main sur la marge inférieure sous le trait d’encadrement. Paggi y mentionnait le nom du commanditaire de la peinture ou sa destination finale (tel nom d’église y était inscrit), et quelquefois la date de réalisation. Se pourrait-il que cette annotation figurât à l’origine sur ce dessin avant qu’elle ne fût supprimée pour des raisons inconnues ?


[1] Collection Holland, Newcastle upon Tyne. Plume et encre brune, sur un tracé à la pierre noire, sur papier bleu, 19,5 x 17,2 cm.
[2] Inv.D 1416. Plume et encre brune, sur papier crème, 13 x 10,5 cm. P. Boccardo émet l’hypothèse que le dessin prépare un tableau anciennement conservé dans la collection Nigro à Gênes.
[3] On sait que le poète GiambattistaMarino demanda à Paggi d’illustrer le sujet de Samson et Dalila pour son poème la Galleria, très certainement lorsqu’il visita l’atelier de l’artiste à Gênes en 1608.

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