Etude pour une composition représentant Samson et Dalila

Malgré la présence d’une annotation ancienne,
datant selon toute vraisemblance de la fin du
XVIIe siècle et mentionnant le nom du peintre
génois Luciano Borzone (1590-1645), ce dessin
revient à Giovanni Battista Paggi. Ce peintre est
également génois et est issu d’une famille patricienne
de la république maritime. Son père lui
donna une éducation poussée dans les
domaines des lettres, des mathématiques et du
commerce afin de l’associer à la gestion de ses
affaires marchandes. Son penchant pour le
dessin l’amena à fréquenter le peintre qui
dominait alors les arts à Gênes, Luca Cambiaso
qui l’encouragea dans cette voie. Mais c’est à la
mort de son père qu’il put devenir peintre à
l’âge de vingt-cinq ans. En raison d’un
homicide, il dut fuir la ville et se réfugia en
Toscane où il demeura de 1579 à 1599. Il y
rencontra les principaux peintres de l’époque :
Ligozzi, Passignano, Cigoli. À son retour, avec
l’appui d’un membre de la haute société
génoise, Gio. Carlo Doria, il créa sur le modèle
florentin une académie et milita pour l’abolition
de la corporation des peintres et la promotion
de la peinture comme art libéral. Grâce à
son prestige et à son rang social, il obtint de
nombreuses commandes.
Les critères de l’attribution reposent sur deux
éléments : les signes stylistico-techniques propres
à l’idiosyncrasie de l’artiste et l’existence d’un
dossier génétique comprenant deux dessins,
préparant une peinture conservée dans une
collection privée italienne. Le sujet représenté
est tiré du Livre des Juges dans l’Ancien Testament
(XVI, 5-19). Le moment précis mis en
scène, tiré de l’histoire de Samson, est celui au
cours duquel Dalila avec l’aide d’un homme est
en train de couper les sept tresses de Samson,
endormi sur ses genoux, qui le rendaient invincible
aux Philistins. Le premier dessin appartient
à une collection particulière anglaise[1], le
deuxième à la Galleria di Palazzo Rosso à Gênes[2].
Paggi avait, grâce à son éducation, une conception
tout intellectuelle de la peinture. Représenter
un sujet c’était, à ses yeux, être capable
de varier les possibilités de disposition des
figures et des éléments appartenant en propre
au sujet. Un dessin conservé à la Galleria di
Palazzo Rosso est, à cet égard, emblématique de
sa méthode de travail. Sur une feuille de 18,4 x13,3 cm, Paggi a juxtaposé douze petites
compositions soigneusement encadrées de
mêmes dimensions dans lesquelles, pour
chacune d’entre elles, il propose une disposition
à chaque fois différente. Le sujet étudié et
varié est celui de Salomon sacrifiant aux idoles,
préparatoire à une toile datant de 1599.
On comprend alors pourquoi chacun des trois
dessins connus, mettant en scène le sujet de
Samson et Dalila, présente des divergences de
disposition même s’il faut le souligner, celles-ci
sont minimes par rapport aux douze solutions
présentes sur le dessin du Palazzo Rosso. Il est
vrai aussi que le statut préparatoire de ces
dessins n’est pas le même. Les deux dessins
anglais et génois appartiennent au stade des
études sommaires de disposition : les figures
sont tracées rapidement à la plume et à l’encre
brune et légèrement hachurées tandis que le
dessin de Grenoble présente une facture
dénotant un stade d’élaboration beaucoup plus
avancé, lui conférant du coup un statut de
modello en puissance en raison de la pose d’un
lavis d’encre brune, suggérant les volumes, et de
l’absence de reprises et de repentirs dans le tracé.
Ce statut de modello a dû cependant rester provisoire.
Car la peinture montre une ordonnance
différente: la table sur laquelle reposent un vase
et un plat, sise à main droite sur le dessin, se
retrouve à main gauche sur la peinture. Du coup,
l’ouverture sur l’extérieur est déplacée au centre.
Et les positions des corps des trois personnages
présentent elles aussi des variantes.
Il se pourrait néanmoins que ce « dessin-modello
» ait préparé une tout autre peinture (ou
gravure[3]) ou qu’il reproduise a posteriori une
peinture déjà réalisée. Grâce aux recherches de
Peter Marshall Lukehart, on sait que Paggi s’était
constitué une sorte de liber veritatis contenant
des « ricordi della pittura amano » (« souvenirs
de peinture à la main »). Ces quatre « quinterni »
(« cahiers ») sont mentionnés dans l’inventaire
des biens du peintre annexé à son testament.
D’une certaine manière, Paggi avait établi son
propre catalogue raisonné de son œuvre peint.
Tous ces « dessins-souvenirs » étaient annotés de
sa main sur la marge inférieure sous le trait
d’encadrement. Paggi y mentionnait le nom du
commanditaire de la peinture ou sa destination
finale (tel nom d’église y était inscrit), et
quelquefois la date de réalisation. Se pourrait-il
que cette annotation figurât à l’origine sur ce
dessin avant qu’elle ne fût supprimée pour des
raisons inconnues ?
[1] Collection Holland, Newcastle upon Tyne. Plume et encre brune, sur un tracé à la pierre noire, sur papier bleu, 19,5 x 17,2 cm.
[2] Inv.D 1416. Plume et encre brune, sur papier crème, 13 x 10,5 cm. P. Boccardo émet l’hypothèse que le dessin prépare un tableau anciennement conservé dans la collection Nigro à Gênes.
[3] On sait que le poète GiambattistaMarino demanda à Paggi d’illustrer le sujet de Samson et Dalila pour son poème la Galleria, très certainement lorsqu’il visita l’atelier de l’artiste à Gênes en 1608.
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