Le Miracle de l'enfant ressuscité, d'après Domenico Ghirlandaio
Andrea Boscoli est au XVIe siècle florentin ce
qu’Ango est au XVIIIe siècle français : tous deux
sont des dessinateurs compulsifs, tous deux sont
des copistes acharnés, tous deux ont laissé un
œuvre graphique important en nombre. Mais à
la différence d’Ango, Boscoli ne s’est pas contenté
de copier des compositions dues à des maîtres
anciens ou contemporains. Il a également
dessiné en vue de penser l’ordonnance d’une
composition peinte à venir. Il est aussi bien dessinateur
que peintre, ce qui veut dire que sa
conception du dessin est autant investie d’une
fonction heuristique et préparatoire que d’une
fonction documentaire et cognitive. Le dessin est
pour lui organe de compréhension du monde.
Le dessin de Grenoble rentre néanmoins dans
la première catégorie mentionnée puisqu’il s’agit
de la copie d’une fresque de Domenico Ghirlandaio
(1449-1494) peinte dans la chapelle Sassetti
de l’église de la Santa Trinita à Florence. Cette
fresque représente un épisode de la vie et de la
légende de saint François d’Assise, au cours
duquel le saint réalise un miracle posthume en
ressuscitant un enfant, fils d’un notaire romain,
qui s’était tué en tombant d’une fenêtre.
Elle fut réalisée entre 1480 et 1485 et occupe le
centre de la paroi du fond juste au-dessus du
tableau d’autel. Boscoli se fait interprète scrupuleux
de la disposition inventée par Ghirlandaio :
le dessin est circonscrit d’une ligne de contour
présente sur les bords inférieur, supérieur et
gauche faisant office de cadre correspondant
aux limites de la fresque, quoiqu’il faille préciser
que la figure du saint apparaissant dans une
mandorle circulaire est tronquée. Boscoli va
jusqu’à représenter la partie sommitale du cadre
du retable pénétrant dans l’espace de la fresque.
Tous les acteurs de l’historia, à l’exception de
ceux apparaissant en retrait et indistincts
derrière les personnages du premier plan, se
retrouvent à leur emplacement exact même si
les rapports de proportion des figures entre elles
et si les degrés perspectifs ne sont pas fidèlement
reproduits. C’est peut-être dans ce détail que
l’on reconnaît le mode de conception spatial
inhérent à l’habitus rétinien de cette fin du
XVIe siècle. La perspective ghirlandaiesque
procède d’une façon de faire que l’on retrouve dans nombre de fresques contemporaines : elle
est accélérée, c’est-à-dire que le point de fuite
se trouve assez haut placé. Du coup, tous les
éléments, surtout ceux apparaissant au premier
plan, semblent comme rabattus. Ce problème
vient du fait que l’emplacement du spectateur
idéal est mal établi dans la mise en place du
dispositif perspectif. Boscoli respecte en partie
cette façon de faire : au deuxième plan et à
l’arrière-plan, le champ s’accélère et monte ;
mais au premier plan, les objets présentent un
état de surface – cela concerne surtout le lit en
forme d’autel où l’enfant se relève, ressuscité –
beaucoup moins accentué dans leur déclivité.
Nadia Bastogi a recensé dans sa monographie
toutes les copies dessinées, connues au jour de
la parution de l’ouvrage, d’après des compositions
dues à des peintres florentins du Quattrocento.
Si cinq le sont d’après des fresques de
Benozzo Gozzoli, aujourd’hui disparues,
peintes au Camposanto de Pise et deux
d’après des fresques de Masaccio au Carmine à
Florence, aucune d’après des œuvres de
Ghirlandaio n’était recensée à ce jour. Connaissant
la graphomanie et le souci d’exhaustivité
de Boscoli, il est à parier qu’il réalisa des copies
de toutes les compositions fresquées de la
chapelle Sassetti, aussi bien peintes dans les
lunettes que sur les voûtains[1].
On s’est souvent demandé à quelles fins Boscoli
s’appliquait à reproduire des compositions tant
antiques que modernes, tant peintes que sculptées
ou gravées[2]. Ghirlandaio, Masaccio, Gozzoli
sont à la fin du XVIe siècle des artistes que l’on
respecte mais que l’on ne vénère point. Ils font
partie de l’histoire de la peinture florentine. Et
c’est à ce titre que l’on va voir leurs œuvres. Mais
on ne les étudie pas et on ne les érige pas en
modèles comme le sont les œuvres des peintres
de la « terza età », c’est-à-dire Michel-Ange et
Raphaël. Et si on les copie, comme le fait
Boscoli, c’est sûrement dans un esprit documentaire.
Boscoli n’était pas seulement un artiste, il
était aussi un fin lettré, un poète et, à ses heures,
musicien. Il a lu son Vasari. Et c’est peut-être
dans une optique historiographique qu’il a
réalisé ces copies : mettre des images sur les
descriptions de Vasari, faire en quelque sorte du
Vasari illustré. Il se pourrait même qu’il ait eu
l’intention d’en graver certaines comme tendrait
à le prouver l’existence d’une copie en contrepartie
d’un des deux dessins connus copiant le
Mariage de Jacob et Rachel de Gozzoli[3].
[1] Comme il le fit par exemple pour les décorations fresquées du dôme de Parme ou pour les lunettes de Poccetti et Salimbeni dans le Chiostro Grande de la Santissima Annunziata à Florence.
[2] Boscoli a copié des statues antiques, des statues modernes, des façades peintes de Polidoro da Caravaggio, des gravures nordiques du début du XVIe siècle, des œuvres peintes de Raphaël, Michel-Ange, Andrea del Sarto, Pontormo, Rosso, Beccafumi, Titien, Corrège, Lattanzio Gambara, Annibale Carracci, de s frères Zuccari, Vasari, Muziano, Andrea Lilio, Jacopo Zucchi, etc.
[3] Ces gravures potentielles furent mises en relation avec un projet éditorial du chanoine de la cathédrale de Pise, Giovanni Battista Totti, voir ibidem, p. 119.
Découvrez également...
-
Le portail
1972 -
Madame Dufy
1916 - 1920 -