Jéroboam puni par le prophète

Le roi d’Israël Jéroboam Ier est connu pour
avoir introduit l’idolâtrie et érigé des sanctuaires
dédiés au dieu taureau, afin de marquer
la séparation de son royaume de celui de
Judée (et de sa capitale Jérusalem), resté fidèle
au dieu de la Bible[1]. Les peintures consacrées
à l’histoire de Jéroboam sont assez rares : c’est
dans l’Adoration du veau d’or ou encore l’Idolâtrie
du roi Salomon que les artistes traitent
de préférence le sujet de l’infidélité du peuple
d’Israël envers le Dieu unique. Paradoxalement,
c’est dans l’art hollandais que ce thème
est le plus répandu.
Jordaens a dédié au sujet de Jéroboam un cycle
de tapisseries dont nous ne connaissons aucun
exemplaire (et qui ne fut peut-être jamais
exécuté). Le marchand de tapisserie Michiel
Wauters possède, dans son inventaire après
décès de 1679, cinq modelli de Jordaens pour
ce cycle[2]. Roger-Adolf d’Hulst, à qui revient le
mérite d’avoir identifié le sujet du dessin grenoblois,
énumère quatre autres dessins dédiés
à cette histoire[3]. Il cite notamment un dessin de
Jordaens à la bibliothèque royale de Bruxelles,
illustrant le même épisode, mais cette composition
bruxelloise est plus élaborée et montre
davantage la richesse d’invention de l’artiste[4]
(Inv. F 20224). En 1939, Julius Held a identifié
un dessin, conservé au Statens Museum for Kunst à Copenhague, comme un Sacrifice de
Jéroboam ; mais D’Hulst le rapproche plus raisonnablement
d’Élie et les prêtres de Baal[5].
Exécuté vers 1660, le dessin de Grenoble
montre Jéroboam, accompagné de son épouse,
voulant punir l’homme de Dieu, pauvrement
habillé, qui l’interpelle pour son infidélité et
veut lui annoncer la naissance du roi Josiah de
la maison de David. Immédiatement, la main
du roi se raidit et son autel s’écroule. Une
statue païenne est visible dans l’arrière-plan
à gauche alors qu’au premier plan à droite
des boeufs sont emmenés au sacrifice. Clarté,
économie de moyens, réduction à l’essentiel,
voilà quelques termes définissant le style du
vieux Jordaens après une cinquantaine d’années
d’activité artistique intense. Le dessin de
Grenoble fait bien ressortir ces traits caractéristiques,
peut-être davantage accentués par le
fait qu’il prépare une tapisserie.
Certains historiens de l’art ont parlé de sécheresse
à son propos, mais le mot ne semble pas
approprié : l’intérêt croissant de Jordaens pour
le protestantisme pousse peut-être l’artiste à
plus de retenue dans ses moyens artistiques.
Le sujet de Jéroboam est peut-être également
influencé par sa nouvelle foi et son scepticisme
accru envers le culte des images auquel
Jordaens a pourtant si activement participé
depuis sa jeunesse et pour lequel il continue
malgré tout à travailler jusqu’à la fin de sa vie.
Marian C. Donnelly, dans un bel article paru en
1959 sur Jordaens protestant – sujet difficile et
paradoxal –, cite plusieurs passages de Calvin
comparant Jéroboam aux papistes qui vouent
un culte idolâtre aux images. Plus subversif
encore, Calvin pense que ce roi, qui cherche
à détourner de la vraie foi, justifie les révoltes
populaires (protestantes) contre les autorités
civiques (restées fidèles à l’Église romaine).
Cette iconographie dangereuse explique peut-être
pourquoi la tapisserie n’a jamais pu voir
le jour dans les Pays-Bas espagnols et demeure
très rare dans les pays catholiques[6].
[1] Premier livre des rois, 12.
[2] Voir Van den Branden, 1864, p. 32.
[3] Voir D’Hulst, 1974, II, A 369-372, repr.
[4] Voir D’Hulst, 1974, II, A 372, repr.
[5] Voir D’Hulst, 1974, II, A 374.
[6] Voir Donnelly, 1959, p. 361-362 et voir plus récemment Tümpel, 1993, p. 31-37.
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