Jéroboam puni par le prophète

Jacob JORDAENS
vers 1660
25 x 27,4 cm
Crédit photographique :
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix
Acquisition :
Legs de M. Léonce Mesnard en 1890, entré au musée en 1902 (dessins encadrés, n°35).

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Le roi d’Israël Jéroboam Ier est connu pour avoir introduit l’idolâtrie et érigé des sanctuaires dédiés au dieu taureau, afin de marquer la séparation de son royaume de celui de Judée (et de sa capitale Jérusalem), resté fidèle au dieu de la Bible[1]. Les peintures consacrées à l’histoire de Jéroboam sont assez rares : c’est dans l’Adoration du veau d’or ou encore l’Idolâtrie du roi Salomon que les artistes traitent de préférence le sujet de l’infidélité du peuple d’Israël envers le Dieu unique. Paradoxalement, c’est dans l’art hollandais que ce thème est le plus répandu.
Jordaens a dédié au sujet de Jéroboam un cycle de tapisseries dont nous ne connaissons aucun exemplaire (et qui ne fut peut-être jamais exécuté). Le marchand de tapisserie Michiel Wauters possède, dans son inventaire après décès de 1679, cinq modelli de Jordaens pour ce cycle[2]. Roger-Adolf d’Hulst, à qui revient le mérite d’avoir identifié le sujet du dessin grenoblois, énumère quatre autres dessins dédiés à cette histoire[3]. Il cite notamment un dessin de Jordaens à la bibliothèque royale de Bruxelles, illustrant le même épisode, mais cette composition bruxelloise est plus élaborée et montre davantage la richesse d’invention de l’artiste[4] (Inv. F 20224). En 1939, Julius Held a identifié un dessin, conservé au Statens Museum for Kunst à Copenhague, comme un Sacrifice de Jéroboam ; mais D’Hulst le rapproche plus raisonnablement d’Élie et les prêtres de Baal[5].
Exécuté vers 1660, le dessin de Grenoble montre Jéroboam, accompagné de son épouse, voulant punir l’homme de Dieu, pauvrement habillé, qui l’interpelle pour son infidélité et veut lui annoncer la naissance du roi Josiah de la maison de David. Immédiatement, la main du roi se raidit et son autel s’écroule. Une statue païenne est visible dans l’arrière-plan à gauche alors qu’au premier plan à droite des boeufs sont emmenés au sacrifice. Clarté, économie de moyens, réduction à l’essentiel, voilà quelques termes définissant le style du vieux Jordaens après une cinquantaine d’années d’activité artistique intense. Le dessin de Grenoble fait bien ressortir ces traits caractéristiques, peut-être davantage accentués par le fait qu’il prépare une tapisserie.
Certains historiens de l’art ont parlé de sécheresse à son propos, mais le mot ne semble pas approprié : l’intérêt croissant de Jordaens pour le protestantisme pousse peut-être l’artiste à plus de retenue dans ses moyens artistiques. Le sujet de Jéroboam est peut-être également influencé par sa nouvelle foi et son scepticisme accru envers le culte des images auquel Jordaens a pourtant si activement participé depuis sa jeunesse et pour lequel il continue malgré tout à travailler jusqu’à la fin de sa vie. Marian C. Donnelly, dans un bel article paru en 1959 sur Jordaens protestant – sujet difficile et paradoxal –, cite plusieurs passages de Calvin comparant Jéroboam aux papistes qui vouent un culte idolâtre aux images. Plus subversif encore, Calvin pense que ce roi, qui cherche à détourner de la vraie foi, justifie les révoltes populaires (protestantes) contre les autorités civiques (restées fidèles à l’Église romaine). Cette iconographie dangereuse explique peut-être pourquoi la tapisserie n’a jamais pu voir le jour dans les Pays-Bas espagnols et demeure très rare dans les pays catholiques[6].


[1] Premier livre des rois, 12.
[2] Voir Van den Branden, 1864, p. 32.
[3] Voir D’Hulst, 1974, II, A 369-372, repr.
[4] Voir D’Hulst, 1974, II, A 372, repr.
[5] Voir D’Hulst, 1974, II, A 374.
[6] Voir Donnelly, 1959, p. 361-362 et voir plus récemment Tümpel, 1993, p. 31-37.

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