Etude de costumes algériens

Si cette feuille d’études ne comporte aucune indication de lieu ni de date, il est possible cependant de savoir très précisément où et quand Delacroix l’a réalisée. En effet, les modèles qui y figurent, en particulier le personnage à l’extrême gauche, vêtu d’un sarouel et d’un burnous beige[1], apparaît à deux reprises sur une feuille conservée au département des Arts graphiques du Louvre. De même, l’homme vu de dos, avec son calot sur la tête, coiffé d’une tresse, se retrouve identique, mais avec un manteau sur l’épaule, en bas à gauche du même dessin. Or, sur la feuille du Louvre, quatre des personnages féminins portent des costumes typiquement algérois : les trois femmes avec une coiffure appelée çarma ressemblant à un hennin médiéval, et celle qui est assise en bas, vêtue d’un sarouel et d’un gilet très étroit, le frimla[2]. Le çarma (ou sarma) est une coiffure métallique ayant la forme d’une tuile, souvent très ornée et pouvant atteindre entre 60 et 80 cm, qui est portée recouverte d’un voile comme on le voit sur deux des figures du dessin. C’est un accessoire de costume porté à Alger par les femmes mariées juives mais aussi musulmanes. Non voilées, celles que l’artiste croque ici sont donc des Juives. Delacroix ne séjourne dans la capitale algérienne que quelques jours, entre le 25 et le 28 juin, juste avant d’embarquer pour la France, ce qui permet de dater précisément ces deux feuilles. Quittant définitivement Tanger le 10 juin, la délégation diplomatique du comte de Mornay fait un détour par l’Algérie afin de tenir les autorités françaises au courant du résultat des négociations avec le sultan du Maroc. Après un séjour à Oran d’une semaine, le bateau repart pour Alger pour une courte escale. Delacroix laisse peu de souvenirs écrits de ces deux villes mais en profite pour ramener quelques dessins, malgré les tensions politiques qui l’empêchent de se promener librement dans les rues. Dans la feuille de Grenoble, les études sont moins des notations sur le vif que des dessins plus aboutis, aquarellés sur place, car on n’y retrouve pas les indications de couleurs habituelles dans les croquis pris à la dérobée. Le personnage central, vêtu d’un sarouel marron et d’un gilet rouge, pourrait être un Kougouli (ou Cougouli), ces Turcs vivant en Algérie, issus de mariages mixtes, ou un soldat turc[3]. La coiffure du personnage de dos, avec sa veste courte vert clair, est aussi celle d’un Cougouli[4]. Comme à son arrivée à Tanger, Delacroix obtient ici de ses modèles qu’ils posent pour quelques pièces : « Tous les Maures que je parvenais à attirer […] pour les dessiner ne s’y prêtaient qu’avec répugnance et seulement en vue d’une récompense[5]. »
[1] Sarouel ou seroual, pantalon bouffant, et burnous. Le « bernusse » est en fait le burnous, un manteau en laine, long, sans manches, avec une capuche pointue, d’origine berbère ancienne porté surtout par les hommes.
[2] Nous devons à Hana Chidiac l’identification de ces pièces de costume et leur usage géographique.
[3] On retrouve le même genre d’habillement dans plusieurs dessins d’adolescents algériens dans Maurice Arama, Delacroix, un voyage initiatique, Maroc, Andalousie, Algérie, Paris, Non Lieu, 2006, p. 262.
[4] Ibid., p. 258-259.
[5] Eugène Delacroix, Souvenirs d’un voyage dans le Maroc, op. cit., p. 106.
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