Red Curve IV

L’année 1954, où Ellsworth Kelly quitte Paris
pour les États-Unis est aussi celle de la mort de
Matisse, dont l’œuvre a profondément marqué
l’artiste. Pendant son séjour parisien, le peintre
américain a échafaudé son œuvre abstrait au
contact des travaux des époux Arp, de Braque,
Brancusi, Mondrian et Vantongerloo, et inauguré
des séries de grilles colorées qui témoignent de
la radicalité de sa démarche. L’artiste affirme
alors : « Je n’ai jamais eu envie de peinturlurer. »
Le retour de Kelly aux États-Unis au moment
où New York s’impose comme la nouvelle
capitale artistique mondiale, est aussi pour
l’artiste une façon de prendre ses distances
avec la doxa de l’abstraction géométrique. Des
séries modulaires voient alors le jour ; elles se
rapprochent de l’art minimal d’un Judd ou d’un
Stella, tout en affirmant leur lien étroit avec
l’observation de la nature. L’originalité de Kelly
consiste à privilégier la courbe mais également
à ouvrir son champ d’expérimentation aux « lois
du hasard » (Arp) afin de contrebalancer l’aspect
arbitraire de ses travaux. Dès 1963, l’artiste,
loué par le critique d’art Michael Fried pour
ses assemblages de panneaux monochromes,
devient l’un des grands représentants de l’art
minimal.
Réalisée l’année de la rétrospective de
l’artiste au MoMA de New York, Red Curve IV séduit d’emblée par sa pureté formelle et sa
syntaxe restreinte : un fragment de disque
vient s’emboîter harmonieusement dans une
portion de carré. La forme découpée, d’un
rouge irradiant, semble tendue comme la corde
d’un arc dans l’angle d’un demi-carré blanc. Un
dialogue d’une grande intensité s’instaure entre
les deux figures géométriques élémentaires,
entre le fond et la forme, les couleurs rouge
et blanche. Écho des croquis de feuilles
autrefois réalisés par l’artiste, la forme nette et
hypnotisante avance et recule magistralement
sur le fond blanc. Sa couleur vive, insistante,
à la limite de la saturation, porte la trace des
gouaches découpées de Matisse. Ici, comme
dans de nombreuses œuvres des années 70, la
découpe relie directement la composition au
mur, qui devient partie intégrante de l’œuvre
et en constitue également le fond, répondant
ainsi au concept d’œuvre ouverte mis en place
par John Cage. Comme dans Blue diagonal with
Curve (Musée d’art moderne et contemporain
Saint-Étienne Métropole), la peinture apparaît
comme la partie d’un tout qu’il est nous
seulement permis d’imaginer.
Un autre regard
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Peinture abstraite, deuxième moitié du XXe siècle
Après 1945, l’expression abstraite change radicalement d’aspects et d’intentions.
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