Le Mariage de la Vierge
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Les textes apocryphes, comme le proto-évangile
de Saint-Jacques ou encore le pseudo-
évangile de saint Matthieu, relatent de
nombreux détails sur la vie de la Vierge alors
que les textes bibliques les ignorent. Une de ces
histoires apocryphes concerne le mariage de
Marie et de Joseph, sujet très répandu, traité
depuis le Moyen Âge, notamment dans des
cycles peints consacrés soit à la vie de la Vierge,
soit aux sept sacrements. Depuis Giotto à la
chapelle des Scrovegni de Padoue, le sujet a
trouvé une forme consacrée par les peintres :
le prêtre au centre joint solennellement les
mains des deux protagonistes qui se trouvent
à ses côtés ; parfois Joseph met l’anneau au
doigt de sa promise. Vers 1500, le thème a été
magistralement représenté par Pérugin (Caen,
musée des beaux-arts) et un peu plus tard par
Raphaël (Milan, Brera).
Le dessin de Grenoble, exécuté à la pierre
noire, à la sanguine et rehaussé d’aquarelle,
n’est pas la seule oeuvre de Jordaens consacrée
au thème du mariage de la Vierge. Le cabinet
des dessins des musées royaux des beaux-arts
de Belgique à Bruxelles, conserve un dessin
de Jordaens sur le même sujet, préparatoire
à un tableau du maître exécuté vers 1660 et
conservé dans la même collection[1] (Inv. 118989
et Inv. 8437). Il existe de nombreuses similitudes
entre ces deux oeuvres bruxelloises et le dessin
de Grenoble dans la composition, le style,
la technique, les dimensions, la concentration sur les trois protagonistes, le traitement de
l’arrière-plan sous forme d’une salle centrée et
les personnages tenant deux bougeoirs autour
du prêtre. Le dessin et la peinture des musées
royaux de Belgique sont pourtant différents
de la composition de Grenoble dans la disposition
des personnages car le grand prêtre s’y
tient à gauche, place occupée sur le dessin de
Grenoble par saint Joseph. Au centre du dessin
de Grenoble se trouve le grand prêtre.
Alors que les deux compositions bruxelloises
dérivent directement d’un modèle de Rubens,
connu aujourd’hui par une gravure de Schelte a
Bolswert, il est intéressant de constater que Jordaens
revient, avec le dessin de Grenoble, à la
représentation traditionnelle du sujet, connue
depuis la Renaissance. Il fait ainsi le lien entre
les deux oeuvres bruxelloises et un grand dessin
conservé à la Biblioteca Reale de Turin, qui
montre le mariage de la Vierge au milieu d’une
foule nombreuse et dans une architecture
imposante[2] (Inv. n°16426 D. C.). S’agit-il d’un modello
pour une grande peinture ou pour une tapisserie
? Dans le dessin de Grenoble, saint Joseph est
représenté d’une façon plus solennelle que dans
la feuille de Turin, où il courbe humblement le
dos devant sa future épouse. En effet, celle-ci
tient dans l’histoire chrétienne une place bien
plus importante que lui.
Le dessin de Grenoble est resté inconnu des
spécialistes, ce qui peut surprendre car les onze
catalogues du musée, publiés entre 1856 et 1911, le mentionnent. L’oeuvre figurait peut-être
dans les collections de Jean de Jullienne[3]
et de François Boucher[4] mais ces mentions se
confondent éventuellement avec les feuilles
sur le même sujet de Turin et de Bruxelles.
Plus tard, le dessin de Grenoble est clairement
identifiable dans la collection du célèbre historien
de la gravure Robert-Dumesnil.
Le Mariage de la Vierge montre bien que,
malgré son attrait pour le protestantisme peu
avant 1650, Jordaens continue à travailler
pour des commanditaires catholiques. Dans
les années 1650, il devient avec son épouse
membre de la commune réformée d’Anvers,
De Brabantse Olijfberg ("Le mont des oliviers
brabançons") et il est condamné par les autorités
de la ville pour des « écrits scandaleux »,
c’est-à-dire hérétiques. Comme son épouse,
Jordaens est enterré à Putte, juste au-delà
de la frontière hollandaise, dans le cimetière
protestant[5]. De multiples exemples du
XVIe siècle flamand montrent que la conviction
personnelle et l’exécution d’une commande
artistique étaient deux choses bien
distinctes pour les artistes, préoccupés par
leur besoin de commandes et d’argent pour
faire fonctionner, comme dans le cas de Jordaens,
un grand atelier.
[1] Voir D’Hulst, 1974, II, n° A363 et II, pl. VII.
[2] Voir D’Hulst, 1974, II, n° A362 et Sciolla, 2007, n° 17.
[3] Sa vente, Paris, 30 mars-22 mai 1767, n° 527, acquis par « De Bandeville ».
[4] Sa vente, Paris, 18 février-9 mars 1771, n° 228, acquis par Clérisseau mais ne figurant pas dans sa vente après décès.
[5] Voir Tümpel, 1993, p. 31-37.
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