Paysage, forêt
Legs de Henri Moyrand en 1949, entré au musée en 1964
« Ses aquarelles, où se montre comme dans ses peintures la préférence qu’il accorde au thème des sous-bois, ont une justesse d’expression, une mise en page parfois japonisante, une construction en taches colorées d’un modernisme très impressionniste[1]. » Grand admirateur de Corot, Harpignies est avant tout le disciple du Dauphinois Jean-Alexis Achard qui lui enseigne à partir de 1846 le travail sur le motif en pleine nature, dans l’Oise mais aussi à Crémieu, dans le Nord-Isère. Achard lui apprend à s’imprégner d’un site, à sentir et traduire sa topographie, mais surtout son atmosphère lumineuse. Harpignies excelle dans le paysage de sous-bois et de forêt, maîtrisant la science difficile de la peinture des arbres, avec leurs troncs noueux et leur feuillage dense dont il capture l’effet d’ensemble sans sacrifier les détails. Cette qualité lui vaut bientôt le surnom de « Michel-Ange des arbres » de la part d’Anatole France. C’est en aquarelliste qu’il connaît surtout le succès à partir de 1852, entrant sous contrat avec une galerie à New York et à Londres qui lui commande un minimum de cinquante œuvres par an[2]. « On ne m’a jamais rien montré, je suis parti tout seul. J’ai procédé par les neutres sur une forme très serrée », relate-t-il dans son journal, faisant remonter ses débuts dans cette technique à l’année 1851[3]. L’aquarelle du musée de Grenoble a été réalisée à Nice en 1887. Toute en camaïeu, elle montre un chemin entre deux rangées d’arbres laissant paraître dans le fond une trouée de ciel bleu. Jouant sur la densité des verts et la transparence des gris, l’artiste parvient à construire un espace cohérent autour des quelques traits verticaux des troncs qui structurent et rythment l’ensemble. Cette feuille est une parfaite illustration des propos de l’artiste, rapportés dans son journal : « Personnellement, je ne me suis débarrassé de la hantise des verts qu’à partir du moment où je les ai remplacés par des gris ou des bleus dont la gamme est infinie. Cela m’a permis, plus tard, de trouver des verts chauds répondant à tous les besoins[4]. » C’est dans les environs de Nice, où l’artiste passe l’hiver chaque année entre 1885 et 1887, qu’Harpignies découvre ce paysage de chemin sinueux et d’arbres sombres, bien éloigné de l’image que l’on se fait des sites méditerranéens, écrasés de soleil et à la végétation rase. Cette aquarelle tranche dans sa production niçoise, qu’il présente au Salon des aquarellistes français en 1887 et 1888[5]. Ce sont surtout des vues urbaines qu’il affectionne alors, prises des hauteurs de Nice. Quelques paysages purs, sans aucune présence humaine ni trace d’urbanisation comme notre aquarelle, lui valent cet éloge d’Eugène Montrosier : « C’est […] l’interprétation d’un rêveur et l’œuvre d’un ému. Des arbres à peine indiqués dans une forêt enchantée, à laquelle conduit un sentier plein d’ornières [6]. »
[1] Sophie Monneret, L’Impressionnisme et son époque, dictionnaire international, t. 1, Paris, édition Robert Laffont, 1987, p. 333.
[2] Paul Gosset, Henri Harpignies, peintre paysagiste français, 1819-1916, Gand, Snoeck-Ducaju & Zoon, 1982.
[3] Extrait de son journal, commencé le 26 mars 1876 et qui est resté dans la famille de l’artiste.
[4] Cf. note 3.
[5] L’artiste expose à ce Salon depuis 1864.
[6] Eugène Montrosier, « Henri Harpignies », in Salon des aquarellistes français, 2e année, 1888, Paris, 1888, p. 71.
Découvrez également...
-
-
Tête de femme
vers 1911 - 1912 -