Femmes sur la plage

« Si je suis devenu un peintre, c’est à Eugène Boudin que je le dois[1]. » Ainsi s’exprime Monet en 1922, donnant à son aîné, avec qui il découvre la peinture de plein air au Havre en 1858, une place fondamentale dans la création de l’impressionnisme, celle d’un précurseur et d’un maître. Eugène Boudin, originaire de Honfleur, s’est fait une spécialité de la peinture de plage, thème qui lui permet d’embrasser en un même tableau les ciels immenses et mouvants comme les costumes chatoyants des bourgeois, séduits sous le Second Empire par la mode des bains de mer. Dessinateur prolifique[2], il use du crayon graphite et de l’aquarelle pour saisir la fugacité des scènes qu’il observe sur le motif, exécutant ensuite ses toiles en atelier. Cette petite pochade, d’une très grande liberté de traitement, met en scène trois personnages féminins sur une plage. Ni daté, ni localisé, ce dessin est pourtant à rapprocher des aquarelles réalisées entre 1863 et 1866[3] sur la plage de Trouville, montrant des personnages féminins, des gouvernantes en blouse et bonnet ou leurs maîtresses en crinoline, oisives et seulement occupées à regarder la mer. Les cabines de plage, sortes de cubes verticaux à la toiture à deux pans, viennent scander l’espace et meubler l’horizon. On reconnaît ici, malgré la rapidité du trait de crayon graphite, deux femmes de dos assises sur des chaises, une autre debout et, au loin, une de ces cabines sur roulettes, habituellement hissées sur la plage par des chevaux. Quelques touches d’aquarelle viennent créer de l’ombre et de la lumière dans ce réseau de lignes sommaires et donner de l’épaisseur aux personnages. La pratique de l’aquarelle est facilitée à cette époque par l’évolution du matériel et la création de couleurs prêtes à l’emploi, en godets ou en tubes, aisées à transporter. Boudin trouve là un moyen rapide de fixer ses impressions, de saisir les effets de la lumière ou les mouvements d’une robe dans le vent. « Trois coups de pinceau d’après nature valent mieux que deux jours de travail au chevalet », déclare-t-il dans son journal[4]. Cette aquarelle modeste provient de la collection de Désiré Louveau, négociant en cidre à Honfleur, ami et compatriote de Boudin, qui avait constitué un bel ensemble de ses œuvres. La marque en bas à droite (L.1694a) paraît avoir été apposée par sa veuve. Cette œuvre est ensuite passée dans la collection de M. Gauthier, puis achetée en 1949 par Andry-Farcy, alors conservateur du musée de Grenoble, en même temps que d’autres dessins de Constantin Guys, Fernand Léger, Marcel Gromaire et André Dunoyer de Segonzac[5].
[1] Cité dans G. Jean-Aubry, Eugène Boudin d’après des documents inédits, l’homme et l’œuvre, Paris, 1922, p. 36.
[2] Le musée d’Orsay conserve plus de 5 000 feuilles de l’artiste provenant de son fonds d’atelier.
[3] Datation précoce proposée par Laurent Manœuvre en raison du trait assez rond et du chromatisme gris des aquarelles de ces années-là.
[4] Cité dans Gustave Cahen, Eugène Boudin, sa vie et son œuvre, préface d’Arsène Alexandre, Paris, 1900, p. 181.
[5] Respectivement MG 3020, MG 3021, MG 3022 et MG 3023.
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