Cardeuse de laine arabe

D’origine suisse, Eugène Girardet évolue dans une famille d’artistes : son père, Paul Girardet, graveur renommé, grave des épisodes de la guerre d’Algérie d’après Horace Vernet, ses oncles, Karl et Édouard, peignent l’Égypte et la Croatie, ses quatre frères embrassent pareillement la carrière artistique. Son beau-frère, époux de sa sœur Julia, n’est autre que le peintre naturaliste Eugène Burnand , grand rénovateur de la peinture alpestre suisse. C’est sous l’impulsion de Léon Gérôme, dont il est l’élève, qu’Eugène Girardet découvre l’Orient en 1874 au cours d’un voyage en Espagne et au Maroc. « Il fut tout de suite conquis […] par cette civilisation primitive, pleine à la fois de faste et de simplicité, d’extraordinaire et de naturel, de couleur et d’austérité », nous raconte Léonce Bénédite dans l’introduction du catalogue de la vente après décès de l’artiste 1908[1]. Dès lors, sa vocation de peintre orientaliste est née. C’est à la recherche de cette simplicité, de cette lumière crue de l’Orient, qu’il poursuit sa découverte du Maghreb en se rendant en Algérie en 1879. Il y revient ensuite presque chaque année, ramenant de ses voyages études et dessins, à partir desquels il exécute ses grandes toiles en atelier à Paris. Ces peintures, nous confie son neveu et biographe René Burnand « trouvèrent presque toutes amateur, tant leur facture était brillante et leur exactitude documentaire sans défaut »[2]. Fuyant les villes, il préfère se rendre dans les régions du Sud algérien, dans les oasis de Biskra et Boù-Saada, encore épargnées par l’empreinte coloniale française. Là, dans ces palmeraies bordant l’Atlas saharien, il découvre une Algérie rurale, tirant ses ressources de l’élevage de moutons ou de chèvres, un peuple de nomades arpentant en longues caravanes les paysages désertiques. Il campe parfois ses scènes dans le site pittoresque des falaises calcaires d’El-Kantara. Tout comme son contemporain Gustave Guillaumet, découvrant ces contrées plus de quinze ans auparavant, il s’intéresse aux populations dont il partage le quotidien, sous les tentes de laine des Bédouins ou dans la fraîcheur des petites maisons en pisé qui s’agglutinent à l’ombre des palmiers. Ses tableaux montrent les petits métiers, fileuses, cueilleurs de dattes, tailleur ou cafetier. Ce dessin au crayon Conté, au trait précis et sans repentir, montre une cardeuse de laine, vêtue d’un costume propre aux populations des oasis de Biskra et Boù-Saada. Le travail de la laine – triage, peignage et cardage, filage et tissage – est exclusivement réservé aux femmes. Dans un souci presque ethnographique, Girardet observe avec précision le costume, les gestes et les instruments : la carde dont l’une des faces est munie d’une peau de mouton hérissée de dents et munie d’un manche, sur laquelle la jeune femme actionne la carde supérieure en lui imprimant un mouvement de va-et-vient. L’artiste, gaucher, use du crayon avec la sûreté de main d’un graveur. « Sa sœur Julia ne se lassait pas d’admirer la rapidité de cette main gauche qui sans une bavure, sans une hésitation, campait chameaux, baudets, bédouins, femmes voilées et aussi pommiers, vaches, moutons, pêcheurs et voiliers – notant avec sûreté et élégance en des centaines d’albums ses trouvailles de peintre voyageur, faisant toujours joli, léger, parfait », nous raconte René Burnand[3]. Cette feuille, donnée au musée par le collectionneur Louis Lacroix en 1948 en même temps que les dessins d’Eugène Burnand et Karl Bodmer , est sans doute une de ces études ramenées d’Algérie mais il n’a pas été possible de la mettre en rapport avec un tableau de l’artiste. Une petite toile sur un sujet très proche, Le Tissage en famille, a été vendue à l’Hôtel Drouot en 2015[4].
[1] Léonce Bénédite, « Eugène Girardet », Catalogue des tableaux provenant de l’atelier Eugène Girardet… 20 mars 1908, Paris, 1908, p. 8.
[2] René Burnand, L’Étonnante histoire des Girardet, artistes suisses, Neuchâtel, 1940, p. 262.
[3] Ibid., p. 261.
[4] Eugène Girardet, Le Tissage en famille, huile sur toile signée « Eugène Girardet » en b. à d., 35 x 55 cm, vente Paris, Drouot-Richelieu, Salle 5, Arts d’Orient et orientalisme, lundi 1er juin 2015 à 14h, lot 225.
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