Cottage à Dieppe

« Tout le paysage qui a une valeur, à l’heure qu’il est, descend de lui, lui emprunte ses ciels, ses atmosphères, ses terrains. Cela saute aux yeux, et n’est dit par personne[1]. » Ainsi s’exprime Edmond de Goncourt dans son Journal à la date du 17 juin 1882, rendant à Johan Barthold Jongkind sa place de précurseur de l’impressionnisme, au même titre que son ami Boudin . Monet dira d’ailleurs du peintre hollandais, rencontré en 1862 : « C’est à lui que je dus l’éducation définitive de mon œil[2]. » Invité en France par Eugène Isabey, rencontré en Hollande en 1845, Jongkind s’y fixera définitivement à partir de 1860 et passera les dernières années de sa vie dans le Dauphiné, à la Côte-Saint-André. Ce peintre de marines, des rives de la Seine, des paysages du Nivernais ou du Dauphiné, use de l’aquarelle comme d’un outil de notation sur le motif, avec une liberté et une franchise de coloris qui rompent avec l’usage de ce médium si prisé des romantiques. La nature qu’il transcrit est franche, sans artifice et se pare de tonalités vives. La Normandie, découverte dans les années 1850 en compagnie d’Isabey, puis dans les années 1860 avec Boudin et Monet, possède des qualités lumineuses propres à inspirer l’artiste, habitué à l’atmosphère chargée d’humidité de la Hollande : « Les ciels sont bien nuageux et des beaux effets mais souvent avec des pleurs qu’il y a pas moyen de rester dehors [sic] [3]. » Dans cette très belle aquarelle, réalisée à Dieppe le 3 juillet 1851, Jongkind choisit de traiter un sujet plus rare dans sa production, une vue pittoresque d’une maison à pans de bois, située au Pollet, le quartier des pêcheurs lové au pied des falaises crayeuses. Le dessin au crayon graphite est ferme et construit précisément les formes du groupe de maisons, appelé le Petit Paris[4] : le mur pignon avec sa boutique au rez-de-chaussée, sa toiture recouverte de bois avec son enfilade de chien-assis donnant sur la cour, ses escaliers et ses murets délimitant les différentes habitations. Le ciel liquide, transparent et mobile, est d’un bleu presque acide à force de lumière. Jongkind pose les touches de couleur avec parcimonie, soulignant le vêtement rouge de la femme du premier plan, étalant une tache jaune sur un pan de mur, plus éclairé que les autres, ombrant de bleu la bordure du toit. Mais la luminosité de l’ensemble réside dans l’usage de la réserve, et la couleur crème du papier, cernée de traits de brun et de gris, devient une teinte de plus dans la palette du peintre. Cette manière de procéder a été décrite précisément par Signac, dans l’ouvrage qu’il consacre à Jongkind en 1927 : « Vite, de peur que l’effet ne dure pas, il ouvre sa boîte de couleurs, et, d’un pinceau aussi preste que son crayon, il indique d’abord en larges touches les localités les plus importantes et arrête en hâte l’effet général[5].»
[1] Edmond et Jules de Goncourt, Journal, Mémoires de la vie littéraire, 1879-1890, t. III (éd. 1856), p. 179.
[2] Claude Monet, « Mon histoire », recueillie par Thiebault-Sisson, Le Temps, 26 novembre 1900, éd. L’Échoppe, 1998, p. 18-20.
[3] Jongkind à Martin, 20 septembre 1863, cité dans Victorine Hefting, Jongkind d’après sa correspondance, Utrecht, Haentjens Dekker & Gumbert, 1969, p. 141.
[4] Cette maison, dernier vestige de l’architecture à colombages du Dieppe médiéval, presque complètement détruit par le bombardement de Dieppe par la flotte anglo-hollandaise et l’incendie de 1694, a été peinte et photographiée à de nombreuses reprises à la fin du XIXe siècle. Elle existait encore au début du XXe siècle et a été détruite en 1911.
[5] Paul Signac, Jongkind, Paris, 1927, p. 119.
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Maison près d'un cours d'eau
fin XVIIIe siècle -
Composition
1938 - 1945