Etude pour Le Combat de Jacob et de l'Ange (église Saint-Sulpice à Paris)

Eugène DELACROIX
vers 1850
21,5 x 28 cm
Crédit photographique :
VILLE DE GRENOBLE / MUSÉE DE GRENOBLE-J.L. LACROIX
Acquisition :
Achat en vente publique par la Ville à la vente du 6 mars à l'Hôtel Drouot en 1940, n°24.

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Grâce à Charles Blanc, alors directeur des Beaux-Arts, Eugène Delacroix est chargé en août 1849 de la décoration de la chapelle des Saints-Anges dans l’église Saint-Sulpice, la première à droite en entrant dans l’édifice. Il choisit de faire figurer au plafond L’Archange saint Michel terrassant le Démon, et opte pour les parois pour deux thèmes originaux : Héliodore chassé du Temple, sur le mur de droite, La Lutte de Jacob avec l’Ange, sur celui de gauche. « Vous me voyez dans ces différents sujets côtoyant des grands maîtres bien imposants. Mais les sujets religieux, entre tous les genres d’attrait qu’ils présentent, ont celui de laisser toute carrière à l’imagination, de manière à ce que chacun y trouve à exprimer son sentiment particulier », explique Delacroix dans une lettre à Constant Dutilleux en octobre 1850 [1]. Les travaux de peinture murale dans la chapelle, retardés par les autres commandes que reçoit l’artiste à cette période [2] et par la préparation du mur, ne démarrent vraiment qu’en 1854 et se poursuivent de manière épisodique au gré des disponibilités de l’artiste, des fluctuations de sa santé et des aléas propres à tout chantier. Sur place, Delacroix bénéficie de l’aide précieuse de ses élèves, Gustave Lassalle-Bordes puis Pierre Andrieu, et enfin du peintre Louis Boulangé. Mais la tâche est immense et s’achève seulement en 1861. On sait que dès les premiers mois de 1850, l’artiste étudie les différents sujets à travers de nombreux dessins et esquisses. Dans son Journal, à la date du 27 février 1850, l’artiste note : « Je travaille aux croquis pour Saint-Sulpice à soumettre à la Préfecture [3]. » Le dessin de Grenoble – une étude pour les figures de Jacob et de l’Ange, engagés dans un combat sans merci – appartient, comme le suggère Jack J. Spector, dans son ouvrage consacré en 1967 aux décors de Saint-Sulpice [4], à cette phase initiale du travail de l’artiste. Il est peu probable en effet que celui-ci se place en août 1856, à l’époque où Delacroix procède à la mise en place de La Lutte de Jacob avec l’Ange dans l’église : « Repris aujourd’hui le tableau de Jacob, à Saint-Sulpice. J’ai beaucoup fait dans la journée : remonté le groupe entier, etc. L’ébauche était très bonne [5]. » Dans le corpus des dessins préparatoires au combat de Jacob et de l’Ange recensé par J. Spector [6], montrant les nombreuses hésitations de l’artiste quant à la position respective des deux lutteurs, le calque de Grenoble occupe une position centrale, mettant l’accent sur la bestialité des expressions dans les visages des protagonistes, en particulier le masque proprement effrayant de l’Ange. L’artiste adoucira les expressions dans les études ultérieures, conservant seulement le caractère athlétique des corps, et surtout celui de Jacob, dont des hachures de pierre noire dans le dessin de Grenoble viennent souligner la musculature puissante. L’artiste envisage le groupe des lutteurs tantôt tourné vers la gauche, comme ici, tantôt vers la droite comme dans un autre calque, non reproduit ni cité dans l’ouvrage de Spector, et conservé au musée national Eugène Delacroix à Paris [7]. Ce recours de Delacroix au papier transparent, permettant de considérer un dessin dans les deux sens, de le reporter pour mieux l’inverser dans des études ultérieures, est assez fréquent et attesté par Philippe Burty. Dans la préface du catalogue de la vente après décès de l’artiste en 1864, celui-ci vante les mérites de « ses calques successifs et toujours plus près de la perfection, à l’aide desquels il élucidait sa pensée et corrigeait son ébauche » [8]. Dans cette feuille, les traits énergiques de pierre noire expriment admirablement la violence de cette scène où « l’homme naturel et l’homme surnaturel luttent chacun selon sa nature, Jacob incliné en avant comme un bélier et bandant toute sa musculature, l’ange se prêtant complaisamment au combat », comme l’exprimera Baudelaire dans la très belle critique qu’il consacre aux fresques de Saint-Sulpice dans la Revue fantaisiste du 15 septembre 1861.


[1] Correspondance générale d’Eugène Delacroix publiée par André Joubin, Paris, 1937, t. III, 1850-1857, p. 36-37.
[2] La Galerie d’Apollon au Louvre en 1850 et le Salon de la Paix à l’Hôtel de Ville en 1852.
[3] Eugène Delacroix, Journal (1822-1857), Paris, José Corti, 2009, t. I, p. 491.
[4] Voir Spector, 1967, p. 40 à 66.
[5] Eugène Delacroix, Journal, op. cit., p. 1034.
[6] Conservés respectivement à l’Albertina à Vienne (N° 45,875, N° 45,874, N° 24,515, N° 44,547), à la Kunsthalle de Brême, au département des Arts graphiques du Louvre, dans la collection Roger-Marx, au Fogg Art Museum de Cambridge et à la Pierpont Morgan Library de New York.
[7] Inv. MD 2002.13.
[8] Philippe Burty, préface du Catalogue de la vente qui aura lieu par suite du décès de Delacroix […] Paris, 1864, p. XIV.

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