Saint Louis, atteint de la peste, donnant des instructions à son fils Philippe

Jacques-Antoine BEAUFORT
XVIIIe siècle
Pierre noire, sanguine, plume et encre brune, lavis d'encre brune, rehauts de gouache blanche sur papier vergé beige collé en plein
47,9 x 34,2 cm
Crédit photographique :
VILLE DE GRENOBLE / MUSÉE DE GRENOBLE-J.L. LACROIX
Acquisition :
Don d'un souscripteur anonyme en l'an IX (1801)

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Saint Louis, atteint de la peste, donnant des instructions à son fils Philippe, est entré dans les collections du musée comme anonyme XVIIIe avant de recevoir en 1891 une attribution au peintre d'histoire Brenet, qu’il a conservée durant tout le XXe siècle. C’est François Pupil qui le premier a justement remis le dessin en rapport avec l’important cycle de la vie de Saint Louis, conservé à l’Ecole Militaire , et lui a rendu le nom de son véritable auteur : Jacques-Antoine Beaufort. Nous connaissons aujourd’hui peu de peintures de cet artiste et le dessin de Grenoble est actuellement la plus importante feuille qui puisse lui revenir avec certitude [1] .
La commande du cycle de la vie de saint Louis pour la chapelle de l’Ecole Militaire revêt une importance exceptionnelle aussi bien par son ampleur (onze toiles) que par la nouveauté de son sujet. Cet ensemble est le dernier cycle religieux commandé à Paris avant la Révolution.En 1748, le financier Joseph-Pâris Duverney, soutenu par la marquise de Pompadour, présente à Louis XV le projet de créer un collège militaire. Trois ans plus tard, Ange-Jacques Gabriel, premier architecte du Roi, est chargé d’élaborer les plans des bâtiments situés dans la plaine de Grenelle. L’ensemble s’articule autour d’une chapelle dédiée à saint Louis et édifiée entre 1769 et 1773. Au départ, seul le maître-autel devait recevoir un tableau, commandé à Doyen. Après les modifications des plans de l’édifice, la décision est prise d’augmenter le décor par dix autres scènes de la vie de Louis IX. Les autorités spirituelles des lieux, le marquis de Croismare, directeur de l’école, l’abbé de Chesimont et le père Trouillet, rédigent alors un mémoire détaillé précisant les sujets des dix toiles supplémentaires. Ce document est destiné au premier peintre du roi, Jean-Baptiste-Marie Pierre (MG D 1348 et MG 2011-0-107) , à qui revient le choix des artistes à même de réaliser chaque tableau. Dix peintres académiciens sont ainsi sélectionnés pour leur talent particulier dans le genre historique [2]. Pierre trouve dans cette commande une parfaite occasion de stimuler les artistes, surtout à une période où les commandes sont devenues rares. La réalisation des œuvres est suivie de près et les compositions sont soumises pour approbation, sous forme d’esquisses peintes ou de dessins achevés. Notre dessin est très certainement l’un de ces modèles de présentation [3]. La composition sera quelques peu modifiée dans la version peinte. Les figures, ici plus mouvementées, sont au final plus statiques. La reine, au premier plan, est vêtue de façon plus simple. La présentation des tableaux, excepté celui de Jean-Bernard Restout, achevé plus tard, crée l’événement au Salon de 1773. La critique est toutefois mitigée devant le manque d’unité stylistique et formelle des tableaux : les personnages ne sont pas toujours de la même taille et les physionomies du roi et de la reine changent autant de fois qu’il y a de tableaux. Malgré cette déception, les œuvres de Doyen, Vien, Durameau et Brenet ont les meilleures appréciations. Les reproches, visant les autres, sont variés et concernent la composition, les couleurs ou la justesse historique des accessoires. Les critiques ne sont pas tendres avec Beaufort : « M. de Beaufort ferme la marche : ainsi que M. Doyen, il peint saint Louis au lit de la mort. Celui-là a traité le spirituel, l’autre vaque au temporel […] c’est bien maladroit à cet académicien de s’être exposé … à concourir avec pareil rival ». Le pathétique de la scène est exprimé essentiellement à travers le groupe des femmes, composé de la reine à demi évanouie et de ses dames d’honneurs. La critique est sévère sur le rendu des sentiments et estime que l’œuvre de Beaufort manque de sens dramatique. Le jeune peintre, qui s’était fait remarquer au Salon de 1771 avec le Serment de Brutus[4] , n’est pas à la hauteur des espoirs qu’il avait suscités. Selon le vœu des commanditaires, Beaufort tente de créer un décor et des costumes en accord avec l’époque de saint Louis. Toutefois, il n’y parvient pas réellement. La cassolette de cuivre fumante au premier plan par exemple n’évoque rien de médiéval et reproduit assez directement un objet de style Louis XV. Cette remarque se vérifie également dans les costumes. Il faut surtout retenir ici la nouveauté de l’entreprise : un cycle religieux à caractère historique, une commande suivie de près par l’Académie et son commanditaire, un ensemble préfigurant l’essor important qu’allait prendre, dans les années suivantes, les sujets d’histoire médiévale, exaltant les vertus des grands hommes de la France. Les artistes étaient priés de se documenter sur la justesse des costumes et des décors afin de créer des scènes pédagogiques pouvant être comprises par les pensionnaires de l’école qui étaient des enfants. Ainsi ce cycle occupe une place charnière dans l’évolution de la peinture d’histoire moderne, en illustrant la naissance d’un intérêt nouveau pour l’exactitude historique et le développement d’un langage pictural à la fois descriptif et porteur d’émotion.


[1] Signalons deux académies dessinées à l’Ecole nationale supérieure des beaux-arts de Paris (EBA 527 et 528).
[2] Joseph-Marie Vien, Saint Louis remet à sa mère la régence *; Charles-Amedée Van Loo, *Le Sacre de saint Louis ; Jean-Jacques Durameau, Saint Louis lavant les pieds des pauvres *; Noël Hallé, *Saint Louis apportant la couronne d’épine ; Nicolas-Guy Brenet, Saint Louis recevant les ambassadeurs du prince des Assassins ; Louis Lagrenée, l’Entrevue de saint Louis et du pape Innocent IV ; Jean-Bernard Restout, Saint Louis à la porte de Tunis ; Taraval, Mariage de saint Louis (perdu) ; Lépicié, Saint Louis rendant la justice *(perdu).

[3]Le musée Carnavalet possède une esquisse peinte pour le tableau de Brenet, *Saint Louis recevant les ambassadeurs des Tartares
, Inv. CARP2666.
[4] Tableau aujourd’hui conservé au musée municipal de Nevers.

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