Bateaux au bord de l'eau

Provenant de la collection de Léonce Mesnard, ce dessin de marine est entré au musée sous les noms d’« Eugène Isabey ou Johan Barthold Jongkind ». Ces deux attributions, également erronées, placent pourtant judicieusement cette feuille à la croisée des chemins, entre romantisme et prémices de l’impressionnisme. En fait, la paternité de ces Bateaux au bord de l’eau doit être rendue à Eugène Deshayes[1], un artiste qui n’a pour l’heure jamais fait l’objet d’une étude. Malgré l’absence de signature, il est possible de reconnaître dans le trait sinueux qui délimite la forme des coques des bateaux et des voiles, et dans la gamme colorée d’une grande fraîcheur, la main de cet aquarelliste spécialisé dans les vues de la côte normande et les paysages urbains pittoresques, avec leurs maisons médiévales à pans de bois. Cette feuille est en effet très proche d’une huile sur toile montrant le même type de bateaux de pêche, passée en vente publique en 2012[2]. D’autres aquarelles, signées, présentent le même traitement rapide, synthétique, propre à l’étude préparatoire[3]. Ces embarcations, bateaux à la coque ventrue avec leurs voiles rouge sang de forme carrée, posés sur leur étrave à marée basse, évoquent, comme le costume des deux femmes sur la gauche, une scène saisie sur les côtes de la Bretagne. Une flaque de mer, oubliée sur l’estran, offre un miroir improvisé aux carènes et permet à l’artiste de montrer sa science des reflets. Formé dans l’atelier de son père Jean-Eléazar (mort en 1848), puis dans celui d’Alexandre Gabriel Decamps, Eugène Deshayes participe au Salon dans la section « peinture » dès 1850, avec des paysages de Savoie ou de la forêt de Fontainebleau. À partir de 1874 et jusqu’en 1882, il ne présente plus que des dessins et aquarelles, montrant différents sites de Normandie, de Bretagne ou même des Pays-Bas. Ses vues maritimes, qui constituent l’essentiel des feuilles passées en vente, bateaux échoués sur la grève ou ports médiévaux aux maisons branlantes, dégagent un parfum de nostalgie proprement romantique. Elles gomment toute allusion au monde moderne et nous plongent dans des sites pittoresques, épargnés par le temps. Mais l’atmosphère chargée d’embrun dans laquelle baignent ces paysages, ciels liquides et lourds de nuages aux tonalités bleues et violettes, annonce déjà les aquarelles normandes de Boudin ou de Jongkind .
[1] Ne pas confondre cet artiste avec son homonyme, Eugène François Deshayes (né à Alger en 1868 et mort dans la même ville en 1939), qui est un peintre orientaliste.
[2] Eugène Deshayes, Bateaux de pêche sur la plage, Bretagne, huile sur toile, 26,9 x 34,6 cm, vente Christie's, 1er fév. 2012, lot n°111.
[3] Eugènes Deshayes, Bateaux en Normandie, plume et encre brune, aquarelle sur papier, vente Aspire Acution.
Découvrez également...
-
Petit flacon
VIe siècle - VIIe siècle -
Femmes nues
XXe siècle -
La Boudeuse
1914